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Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
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mardi 31 décembre 2013

La guerre des cuvettes

Je l’entends arriver. C’est normal, l’espace est exigu, l’endroit résonne. J’enclenche aussitôt la procédure de discrétion silencieuse. Elle consiste à se terrer, se figer, comme un lapin dans son terrier, comme un sous-marin nucléaire en azimétrie passive, et rester immobile en espérant que ce lambeau qui pendouille ne lâchera pas, ce qui trahirait aussitôt ma présence en ces lieux d’aisance. C'est le début d'une sourde guerre des nerfs que tout le monde vit au moins une fois par jour mais dont personne ne se vante. Normal, c’est une histoire de vains culs. Tenir, tenir coûte que coûte en priant pour que la faïence devienne anéchoïque, c'est au premier qui craquera et sortira en terrain dégagé, brisant l'anonymat rêvé des moments peu glamour. Et ça peut durer looongtemps. Ces moments d'intimité forcée sont très révélateurs. Dis-moi comment tu chies, je te dirai qui tu es.

Chez des individus supposés socialisés, civilisés, instruits et espérons-le, propres, la simple arrivée d’un semblable dans le périmètre de la litière du premier provoque chez ce dernier une inénarrable tétanie sphinctérienne. Probablement est-ce dû à la peur d’être vu, entendu, croisé, voire démasqué comme l’auteur de ce vilain pet, le responsable de cette nauséabonde réplique de Bhopal. Admettons-le, croiser un collègue, pour peu que ce soit le chef, nous envahit d’un sentiment aussi humain que paradoxal : le soulagement de savoir que tout le monde a les mêmes contraintes physiologiques, mêlé à la gêne de s’en libérer en groupe. C'est d’ailleurs l'objet d'une phobie très répandue, la parurésie. Des années d’observation minutieuse de ces phénomènes copro-chutistes m’ont amené à en distinguer des tendances.

D’abord, propreté et statut social sont bien décorrélés. Je me souviens d’avoir été le témoin involontaire du passage d’un ponte du cabinet à l'endroit homonyme, alors que j’étais piou-piou. J'étais entré en action et je l'entendis débouler d’un pas énergique, c’était un grand gaillard au physique de rugbyman. Croisant un autre, il signa là sa présence avec un sonore « bonjour » de circonstance. Une fois cadenassé et installé, il lâcha la bride à une horde de scories fécales sous pression hyperbare dont l’évacuation fit trembler le bâtiment. Cette éruption coupa net mon timide égouttage collatéral. Il devait être très pressé car il repartit aussitôt et je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu le lavabo ni le pouêt-pouêt caractéristique de la pompe à savon.

Ce qui m’amène à la seconde observation... Le lavage de mains fonctionne de manière exactement inverse à la parurésie : beaucoup d’individus ne se lavent les mains que s’il y a des témoins. N'oubliez jamais cela quand vous déjeunez à la cantine avec un collègue qui a fait escale sur le chemin et pensez à lui demander s'il a croisé du monde.

Enfin, certains hommes, sans doute des créatifs contrariés, trompent l’ennui relatif de ces moments de sérénité animale en décorant ce qui est à leur portée avec ce qui est à leur portée. C’est ainsi que l’on trouve, accrochées aux carreaux telles des toiles de maîtres, des sculptures de matières muco-nasale savamment réparties. De même, est-ce par désir esthétique ou par instinct refoulé de marquage de territoire, que la délicate porcelaine blanche se trouve si souvent maculée de flaques, au point que l’on ressort de là en voyant le monde jaune citron ?

Je me suis toujours demandé comment c'était du côté des filles. A mon grand étonnement, j'ai souvent entendu le tonnerre gronder de l'autre côté de la cloison. Des rafales décomplexées, Aphrodite avait dû manger trop de moussaka.

mercredi 20 novembre 2013

Call of le ski

On est partis en retard, comme d'habitude. On essaie de se retrouver à une heure décente Porte d'Orléans, car on sait que la nuit va être longue au volant et courte au lit. On n'arrive jamais à tenir l'horaire, il faut finir le boulot avant de partir et les statistiques ne se démentent pas, c'est toujours dans ces moments-là que tout se cumule. Aaah!... La bourre, toujours la bourre... On finit par plier et on atteint l'autoroute à 20h. On est fatigués comme un jeudi soir, mais excités comme des puces devant un lapin vierge.
Vous avez compté combien de "on" jusque là ?
Armel prend le premier quart, je m'installe derrière et m'étale sous une couverture, c'est la première fois que je voyage à l'arrière de ma propre voiture. Un vis-ma-vie avec mes enfants, en quelque sorte. On discute de tout, de rien, mais surtout de tout. Pour s'extraire de Paris il faut un tire-bouchon, heureusement qu'on a de la bouteille. Le coffre est rempli de matériel glissant.

91, 77, 45, 89, 21. Passer Beaune et faire un baiser à la vigne hiverneuse de mes collines chéries. Les choses sérieuses commencent après Lyon. Cap à l'Est, à l'approche de Chambéry le sucre glace saupoudre les pentes, laissant présager que ça ne va pas être du gâteau. C'est la mi-décembre et la pellicule est vierge et fraîche. Le spot dans le ciel détache les silhouettes pré-alpines et l'on roule dans un camaïeu de bleu marine. Il faut vous imaginer dans l'atmosphère, avec le poids de cette fatigue souhaitée, presque complice, et Radiohead répondant magnifiquement à la lune bienveillante qui nous précède en éclaireuse. Les phares xénon c'est pour les frimeurs. Reckoner installe une ambiance que l'on pourrait, que l'on devrait filmer, paisible, concentrée et voyageuse. C'est notre road-trip d'ouverture, sur la route des pistes. En l'occurrence la route est devenue une piste, maintenant couverte par dix centimètres de poudre. Cette poudre-là, c'est comme une drogue.

Sorti de nulle part, un convoi d'espagnols fait naufrage sur la BAU. Dans une corrida inattendue, notre taureau noir fend un balai d'échoués clignotants qui installent leurs chaînes xanthophores dans ce halo d'orange et de blanc. Un balai d'essuie-glaces, une réaction en chaînes, si je puis dire. Il s'en passe des choses, There There. J'ai greffé des pneus hiver, ça nous permet de monter sur le blanc en neige, on n'est pas des bleus. Les trente kilomètres qui séparent Moutiers de Val Thorens sont un parc d'attraction, un Space Mountain au ralenti, un parcours délicieux que nous avalons seuls au monde dans un blizzard qui a laissé les copains et les inconnus déchaînés immobiles. La route est fermée, on en est à vingt centimètres de neige. 3h17 à l'horloge, la nuit s'annonce de la même couleur que la route : blanche. Une ascension en 4x4 à crampons, totalement assumé (le 4x4), même pas peur, on se partage les virolos, croisons un renard, en faisons un roman, nous rapprochons de notre troisième étoile. Telle est ma quête, suivre l'étoile.

La seule trace de vie à l'arrivée ce sont les anglois beuglants et fumants qui avalent leurs bières en t-shirt sur les terrasses. Il fait -13°C, nous sommes à 2.300 mètres. Pas de doute, ce ne sont pas des êtres humains. 4h47, déchargement terminé, les skis sont au casier, Everything in it's right place. Couchage initié, ça laisse deux heures avant d'aller croquer les pistes. 5h08, le téléphone sonne. Il faut retourner chercher les copains bloqués à Moutiers. Le sommeil peut attendre, la neige, moins.

Nous sommes collègues, confrères, concurrents parfois, mais surtout nous sommes potes. Nous ne raterions pour rien au monde ces trois jours sur nos planches et sous les radars. C'est un plan de mecs, dixit Gainsbourg. Un rite annuel, simple. Pas de chichis, pas de beauferies. Des garçons droits avec des skis paraboliques, qui malgré le rhum chauffeur de soirées ne se sentent pas obligés de meugler. C'est qu'on a le vin fin, nous, monsieur ! On descend vite et en silence, presque furtifs. C'est Call of le ski, le seul jeu vidéo que j'aime, parce que la console, c'est les Alpes, l'écran blanc de mes nuits noires, le seul univers où l'on est heureux que ça sente le sapin.

Un jour de décembre 2010, ils m'ont sauvé la mise, c'était un jour blanc. Dans un élan d'intégrisme skieux, j'ai voulu me faire sauter comme une bombe Atomic. Je n'ai pas vu que c'était un petit ravin, j'ai juste vu le sang sortir par ma bouche quand je me suis aplati tel une bouse à la chandeleur. Ils ont foncé, la barquette a pu me ramasser à temps, rouge sur blanc avant l'écran noir. Nous approchons la fin novembre, j'ai de la neige qui boue dans le sang.

mardi 12 novembre 2013

Lapin glycéro

J'en ai encore reçu un aujourd'hui, un de ces courriers format A4 dont le poids vous fait dire que le prix des timbres aurait payé la perceuse que vous venez d'acheter chez Merlin l'emplâtreur. La simple vue du logo en relief sur l'enveloppe vous flatte l'ego en vous chuchotant que vous faites partie du club privé des happy fews de chez Trucffany, sentiment amplifié par la lecture de mon nom et de mon adresse calligraphiés. L'enveloppe satinée fait presque office de papier cadeau. La mise en scène postale est réussie.

N'osant pas déchirer cet écrin, je pratique une enveloppectomie à l'aide de ciseaux et sors un magnifique catalogue à la couverture imitation croco et aux pages si épaisses qu'à chaque fois qu'on en tourne une on a l'impression de sauter un chapitre. Osez Joséphine, c'est du luxe Valentine. Une sorte de peinture glycéro-sociale. A la réflexion, en peinture, en papier, en coton ou en tôle, le luxe c'est une question d'épaisseur. Ça se démontre facilement. Regardez les maisons qui se sont envolées comme des fétus de paille aux Philippines vendredi dernier, on voit tout de suite que c'est de la camelote. L'histoire des trois petits typhons se répète, encore et encore, c'est que le début, d'accord, d'accord. Le Nouf-Nouf qui est en moi voit rose et comme ce vilain cyclone a gâché un week-end prolongé qui s'annonçait sous les meilleurs auspices, ceux de Beaune, j'ai décidé de me plonger dans le catalogue de Truc pour oublier un peu toute cette misère. C'est vrai quoi, à peine a-t-on eu le temps de tirer la chasse sur les naufragés de Lampedusa qu'arrive la promo suivante de gueux, ça commence à me briser les boutons de télécommande.

Va pour un plongeon dans un océan d'insouciance. En quelques lignes, je me sens aspiré comme Alice dans le terrier du lapin. Une galerie de personnages tous beaux, photoshopés mais beaux, me regardent et me susurrent que je vais avoir le droit de faire des trucs eeeeexclusifs chez Truc mais surtout à la fin il ne faut pas oublier d'acheter des trucs parce que faut pas déconner non plus, comme en magie, il y a toujours un truc. Si le stéroïde egoïsant fait effet, vos glandes Amex vont passer un sale hiver. Vos paupières sont lourdes, vous vous voyez déjà en haut de l'affiche, cette montre au poignet, cheveux au vent, conduisant négligemment une magnifique Delahaye 135M Roadster aux côtés d'une mannequin improbable. Non, vraiment, improbable. Histoire de vous enduire le trou duc de stuc, et avec le sourire, on vous octroie royalement 20% de réduc ce qui quand on y réfléchit ramène le prix là où il aurait toujours dû être : à six fois le Smic. Mais moi, pas de bol, je suis fils de chirurgien et il me faut plus qu'un peu de Propofol pour m'endormir.

Clac ! Livre refermé, Delahaye pliée, je me délecte à décortiquer le mécanisme cérébral de ceux qui sniffent ce genre de volutes, celles que le lapin crétin souffle dans leurs narines pour les mener par le bout du nez. Mais dans le mien de nez, il y a des cristaux de moutarde qui montent, question de développement du râble. Les cercles de luxe en tous genres sont les filiales d'une seule maison mère, celle des idiots qui se regardent le nombril. Narcisse, tu as dû beaucoup forniquer pour autant te reproduire, oserai-je dire que tu as niqué comme un léporidé. A moins que ce ne soit l'inverse. A grands renforts de pipes, ton opium est devenu plus raffiné que tes fans.

C'est sec ? En avant pour la deuxième couche. De tous les clubs qui vous font croire que l'élégance s'achète et vous jettent le DNA de la brand (expression authentique utilisée par une marketeuse venue me former il y a des années) à la figure, l'un des plus actifs du moment est celui des calcéologues. D'avoir rassemblé trop d'ânes, il a fait des émules, à grands renforts d'épais catalogues et de ministres boiteux. J'en sais quelque chose, je suis inscrit aux anciens calcéologues anonymes. Voici venu le banc des petits marquis poudrés version 2013 qui se prennent pour des pointures et se pavanent entre la Madeleine et la rue Marbeuf vêtus en Monsieur Du Snob, dissertant doctement sur l'art de colorier le cuir. S'ils pouvaient sortir de leur corps pour se regarder marcher, nul doute qu'ils le feraient, en se courbant bien pour peindre leurs talons en rouge. Le dandysme c'est du ridicule qui gangrène, ça commence par vous prendre les pieds et ça remonte le long des jambes. Heureusement ce n'est pas trop contagieux. La preuve, il n'a pas atteint l’Éthiopie, laboratoire mondial de test pour toutes les pires épidémies. Dès lors comment ne pas déféquer sur le paillasson de ceux qui essuient leurs souliers point nets ? Et en même temps, comment ne pas pleurer en regardant l'état des chaussures de 90% des cadres ? Certains mangent du cirage pour briller en société, d'autres en privent leurs attributs les plus précieux. Le cuir s'assèche et laisse la peau à vif. Le luxe, une question d'épaisseur je vous dis.

lundi 14 octobre 2013

Quarante-deux secondes de gré


Un an pile. Un an que j’ai commencé à écrire des bêtises, pardon je corrige : à les mettre en ligne. Quarante-deux articles en un an, c’est un peu plus qu’un par semaine d’aménorrhée pour accoucher à l’aide de ma souris. Pas de quoi en faire un fromage, sauf quand je fais un bris de mots.

Au gré de l’air du temps, du temps que j’ai, du temps qu’il fait, les idées se bousculent, elles font rarement la queue ces petites bêtes-là. Certains textes écrits en dix minutes, d’autres en plusieurs mois, le jour, la nuit, en salle de travail, sous la douche… Il n’y a pas de règle (normal, pour une aménorrhée…) si ce n’est celle de faire sourire les visages qui se posent sur ces lignes. A commencer par le mien.

Merci à vous, lecteurs de passage ou habitués. Merci pour vos messages, vos commentaires, vos critiques qui me permettent de progresser, même celles qui traduisent l'insoutenable capacité de certains êtres à plafonner au premier degré. Merci pour vos encouragements qui me touchent. En un an vous avez été nombreux à m’écrire, pas loin de 13.000 à me lire depuis tous les continents. Je n’ai récupéré qu’un troll qui m’a demandé d’arrêter d’écrire. J’ai une mauvaise nouvelle pour lui. Je continue.




samedi 12 octobre 2013

Mega America Podridura (soft sailing)


Ce soir de septembre 2013, toute la KeyArena de Seattle est constellée de 17.000 lucioles. Il est venu faire son discours d’adieu. Avec son polo jaune citron et sa dégaine de beauf homérique, il est difficile de croire qu’il a présidé à la destinée de la Corporation pendant treize ans. Il est là et nous offre un grand moment comme seuls ou presque les homéricains savent le faire. Il est coutumier du fait, son double septennat est ponctué de beuglements scéniques plus ou moins stridents et toujours sudoripares. Pour avoir participé à des dizaines de conférences de ce genre dans différentes maisons mères, je confesse que ça fait son petit effet-mère. On est vite porté par la démesure des moyens déployés, par l’enthousiasme contagieux des américains, par l’effet de masse. Et le fond ? Peu importe. On est les meilleurs, on va tous les niquer. Qu’est-ce qu’une conférence d’entreprise sinon une entreprise de propagande ? Ce soir, donc, mélangeant allègrement le show, la pleurnicherie et le business, à grands renforts de musique héroïque, il dit merci, fait ses yeux de repentance. Quoique. Ça rappelle un peu Jean-Luc Lahaye et son émission dégoulinante de pathos, mais en version Star Wars. Leur point commun : ils chantent Débarquez-moi, chacun à sa manière. Les larmes de crocodile du gros Steve essaient de faire oublier à ses fans qu’il part sur un échec, c’est ce que disent les journaux. C’est partiellement vrai tant il n’a pas réalisé que, depuis six ans au moins, le monde n’est plus gouverné par les pc (pour les plus myopes, je précise : j’ai écrit « par les pc » et non « par la technologie »). Comme quoi on peut avoir un caractère de T-Rex et ne pas être darwinien, la préhistoire se répète.

Huit cents miles au sud de Seattle, pendant que le cool Steve coule et se répand en bribes de mots d'excuse, son copain Larry le psycho-botoxé se marre. Sa conférence à lui, elle s'appelle OpenWorld. Il n'a pas pu y aller beaucoup, il tirait des bords avec son bateau avion. WaterWorld en quelque sorte. Il a la banane (normal, sur un catamaran) et vante ses voiles dont chaque centimètre carré représente quelques milliers de bases de données vendues. C'est curieux chez les marins, ce besoin de faire des bases. Y'a quelque chose qui ne tourne plus rond au royaume de la briganderie logicielle. Encore une coupe, America ? Oui, mais de champagne ! L'empire du soft a du plomb dans la fenêtre. Peut-être est-ce parce que la fenêtre a atterri entre nos mains, peut-être est-ce par osmose d'O/S morose. Il fait des ronds dans l'eau mais il ne fédère pas. Les geeks idéalistes du fond du garage d'hier sont devenus les empereurs d'aujourd'hui, détenteurs de la toute-puissance webesque. Ils ont commencé par essayer de tuer des tas de Jobs. D'une certaine manière, ils ont réussi.

Il y a 35 ans, le plus grand carton du western spatial faisait l’apologie de rebelles opprimés par l’Empire galactique. Aujourd’hui, une super-puissance pourrie de surendettement envoie ses drones aux couleurs de Starbucks Coffee pulvériser des insurgés de plus en plus sioux arborant les couleurs de… Ah ben je vois pas les couleurs, y’a une burqa par-dessus. Coincé entre la burqa noire et la burqa stars & stripes, voilà notre avenir enveloppé dans une sale brume, façon nuit et brouillard... Le voile des uns sous la voile des autres. Oui vraiment, la préhistoire se répète et l'oracle n'a rien vu venir. Ou plutôt si, mais il s'en foutait, il avait mis les voiles. Un géant paralysé, ça pourrait finir par un shutdown à la Gulliver. Quand on sait ce que signifie « yahoo » dans l’univers de Gulliver, on se dit que la boucle est bouclée.

De notre côté de l’atlantique, nous n'avons rien à craindre. Les neuneus lilliputiens qui nous gouvernent perpétuent quelques bonnes vieilles habitudes qui servent de ligne Maginot à notre village. Celle de pisser un cocktail à base de jus de morale, de racines libertaires et de mousse humaniste sur ceux qui confondent leurs prochains. Celle de copier tout ce que font les Stazunis, mais vingt ans après et mal. Un ministre à grande gueule (pléonasme... Quoique, j'ai vu Hamon l'autre jour à la télé, je me suis souvenu qu'il était au gouvernement. Il y a des gens comme ça, tellement charismatiques que quand on les voit on joue malgré soi à "mort ou pas mort ?") s'énerve à la télé après les vilains capitalistes qui font rien qu'à délocaliser. Les vilains capitalistes du pneu et du métal, ceux-là mêmes dont il singe le patriotisme, lui répondent et lui font pan-pan cul-cul devant tout le monde. Même pas peur ! Moins il y a de sites, plus il y a de Sith ! Ben oui Arnaud, l'appareil industriel, c'était il y a vingt ans qu'il fallait le préparer. Le monde ne t'a pas attendu. Arnaud rêvait d'un sabre laser, on lui a donné un cure-dent. Heureusement, le ministre a confié à la fine fleur de l'informatique made in France la mission de nous sauver. Il n'y a plus qu'à louer Bercy d'ici un an, il y a 17.000 places disponibles.

mercredi 25 septembre 2013

Mémoire de Reine

Il est des personnes qui, au détour d’un couloir, d’une phrase de rien du tout, vous redonnent foi en l’espèce humaine et renvoient au bestiaire tous les R'as-al-Ghul à poils longs qui veulent nous persuader que tout ira mieux après un bon génocide.

J’ai vécu la semaine dernière une expérience aussi touchante qu’édifiante. C’était le lendemain de la soirée des anciens de l’entreprise où je travaille. C’est marrant les soirées d’anciens. On alumnise, on vient observer l’adultitude qui se dépose sur nos rides respectives parfois respectées. On discute en penchant maladroitement la tête pour lire le badge d’Untel que l’on connaît mais dont on a oublié jusqu’aux données de base. Il y a ceux qui viennent et il y a ceux qui comptent. Ceux-là, naturellement, vous ne les verrez pas, c’est nous qu’on va les chercher pour les appeler cher ami et leur dire oui oui tout à fait on est en phase je te fais une propale ce soir pas de souci je comprends que tu sois obligé de faire un appel d’offres. C’est le festival des phrases creuses et des mots en –ing : networking, speed dating, zapping. Un bal de papillonnages et d’évitements courtois envers ceux qui grenouillent et cherchent un job, hop, trois petits fours et puis s’en vont. Ce millésime était pour moi spécial, car étant récemment revenu dans cette entreprise où j’ai commencé ma carrière, j’avais le statut appréciable d’ancien ancien. Un ancien carré en quelque sorte, mais sans la cote d’un mètre carré dans l’ancien.

Le lendemain de cette soirée aux figures plus imposées qu’imposantes, je déambulais entre deux bâtiments avec cet air occupé des gens réfugiés dans leurs pensées pour éviter de dire bonjour. Je dépasse une silhouette féminine, frêle et fumante, les volutes du café qu’elle tient à la main semblant s’échapper de ses cheveux. Alors que je la contourne, j’entends « Tiens, [mon prénom mon nom] ! Comment vas-tu ? Alors tu es revenu ?! ». Pétrification instantanée. Un éclair de honte me foudroie. Une fois retourné je suis retourné. Reconnaître quelqu’un au bout de vingt ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Dans son cas, c’est spectaculaire. Elle est standardiste. Elle connaît tous les numéros de postes par cœur, des milliers. Lorsque, moussaillon, j’embarquai sur ce navire, nous étions deux mille, et par un prompt renfort du destin et de quelques acquisitions bien ficelées nous voici sept mille en arrivant au port de la croissance. Certes, à l’époque, le plateau de mon équipe jouxtait le standard, et l’on se croisait. Mais tout de même, combien de pompons de pimpins a-t-elle vu défiler ? Moi, simple moucheron sur le pare-brise du temps qui passe, elle m’a reconnu. Mes yeux ont eu besoin d’essuie-glaces.

Bien avant notre époque d’iMaturité, où parler à un être humain quand on contacte une entreprise est devenu un luxe, le standard était quasiment la seule interface vivante entre une organisation et le monde extérieur. Une vitrine de l’entreprise, disait-on. Force est de constater que la sienne a résisté au tsunami de serveurs vocaux. Elle pilote son cockpit d’une rafale de doigts sur le clavier, et vous passe n’importe quel poste en moins de quatre secondes (véridique). Elle a gagné la réputation d’avoir le meilleur standard à mille kilomètres à la ronde. Elle s’appelle Reine, je ne résiste pas à la facilité d’écrire qu’elle fait honneur à son prénom, et même qu’elle a la classe royale. Pour appeler Paris, passez par Reine, de grâce n’appuyez pas sur dièse, elle mérite quelques lignes.

jeudi 19 septembre 2013

Fée confiance


L'un de mes amis proches, que j'appellerai A., m'épate depuis tant d'années. C'est un garçon intelligent, sensible, délicat, cultivé, drôle, bien de sa personne, qui a énormément de cartes en main pour être heureux. Pour une raison que des décennies d'amitié n'ont pas réussi à tirer au clair, il est totalement dépourvu de confiance en lui. A moins qu'un atavisme ashkénaze avéré n'ait fait de lui un artisan de l'auto-flagellation cher à Paul Watzlawick. A un point tel qu'il s'est auto-sabordé à plusieurs moments clés de sa vie. Son cas est une source intarissable de questionnement et parfois de colère, lorsque l'actualité nous inonde d'histoires malheureusement vraies où des crétins de tout poil réussissent à accéder au cockpit sur la seule foi de leur bagou et de leur aplomb et ce malgré une pauvreté d'esprit digne d'un chroniqueur télé. Il y en a même qui dirigent des pays. 

Que dire en effet de ces énergumènes empouvoirés qui au crépuscule de leur quinquade, se comportent plus que jamais comme des gamins dans une cour de récré ? Ce serait amusant si ces types n'avaient pour sacs de billes les manettes du déficit ou les codes de la force nucléaire. Si tu sors tes gros calots, je vire mon soldat, tu tires contre le mur, bang, ah non, pardon, j'ai pris un vent, t'as des gaz. De la Sibérie à la Mésopotamie il n'y a qu'un fil de marionnettiste. Peut-être est-ce leur raison d'exister que de tenir le plus pitre, regardez la Berlusconie. Las ! Occupons-nous de notre tonneau des Danaïdes, pour le reboucher il eût fallu des ébénistes, nous avons eu des énarques. Des énarques ou l'art et la manière de vénérer un diplôme à base de posture à une époque où l'imposture nous véner. Vous voulez vérifier, achetez-en un, il y a une promo chaque année. Vous verrez que dans ce purin d'élite, il n'y a pas beaucoup de Fleur qui poussent. Sans rire, voilà une engeance qui transpire la confiance suffisante et comme si ça ne suffisait pas, nous demande la nôtre tous les cinq ans. Des vampires de confiance, en quelque sorte. Brrr.

Elle est belle et fragile comme une biscotte dans l'assiette d'un parkinsonien. Et elle a décidé de faire cocus tous ceux qui l'ont draguée juste pour qu'elle leur lèche les urnes. Vendeurs d'espoir, écouteurs professionnels, marchands d'amis. En 2008 elle a claqué la porte. Ils n'avaient rien vu venir. Elle nous a laissés tout seuls dans notre slip, avec notre PIB et notre brosse à dents. Pour paraphraser Prévert, on reconnaît la confiance à la crise qu'il fait quand elle s'en va. Nous voilà démunis, perdus, nous complaisant dans ce bordel et regardant ce chômage qui augmente comme la vaisselle dans un évier de célibataire. Elle squatte temporairement chez des amis mais chacun sait que ça ne peut pas durer. Elle devra partir, trouver un refuge, un domicile fixe. Parfois elle est tentée d'aller voir son dealer. Un shoot de fanatisme et la voilà travestie en jeune vierge dévouée à la cause de la bombe humaine qu'elle attend au paradis en sirotant des bloody-marys. Se faire sauter par un kamikaze, c'est moche, mais ça la soulage. L'horreur hypnotise tellement de gens, ceux qui la déploient et ceux qui la regardent.
Réveil.
Very bad trip.
Elle traverse une crise existentielle. Un comble, la confiance n'a plus confiance en elle. Comment lui faire comprendre, lui redonner de la consistance ? Je l'ai observée, avec conscience. Comme on regarde un escargot escargoter, comme on admire un policier péver. Je voulais voir si elle pouvait faire quelque chose pour mon ami et je me suis aperçu qu'à trop se donner elle a fini par se vider de sa propre substance. Elle a tout pansé et personne n'a pensé à elle, on  se retrouve comme des cloches en train d'implorer quelque chose qu'on a siphonné. Un syphon, font, font.

Si le texte du jour est divisé en trois petits paragraphes, c'est parce que j'ai depuis fort longtemps un ADN de tiers de confiance.


dimanche 8 septembre 2013

Six semaines sous un rocher

Ce n'est pas la star des créatures dites intelligentes, dont je suis de plus en plus tenté d'exclure les hommes, mais un animal que j'ai longtemps apprécié autour d'un barbecue. Deux yeux, 3 cœurs, 8 tentacules, 9 cerveaux et pas de squelette. Je suis, je suis... Le poulpe ! De vieilles traditions imbéciles persistent à le rendre tantôt synonyme de terreur, relégué au même rôle que le charcharodon qui pourtant ne mange qu'un surfeur par mois, tantôt icône de la mafia. Sans oublier Paul le poulpe et Jules Verne, qui ont fini de le ridiculiser et d'agrandir le trou dans le déficit de son image.

Je vous accorde qu'il n'incite pas au baiser. Et pourtant ! S'il y a des hommes-grenouilles dans la salle ils savent à quel point le monde hyperbare est porteur de grâce. L'observation régulière de ce céphalopode au cours de plusieurs plongées, puis la vision d'un superbe documentaire dans Thalassa, m'ont ému et ont alimenté cette boucle infinie qu'est le questionnement sur la définition de l'intelligence. J'avais envie de le partager ici.

Le film nous apprend que les poulpes ne se reproduisent qu'une fois dans leur vie, et que la mère se sacrifie pour protéger et ventiler sa progéniture pendant les six semaines d'incubation. Elles attend que les bébés sortent de leur œuf pour se laisser mourir. Le petit poulpe aussi naissant qu'orphelin repart donc à zéro, n'ayant aucun parent pour lui transmettre les bases de la vie et lui expliquer qu'un mérou plus gros que lui, ça fait mal. Tout au long de son existence, il utilise donc son potentiel cognitif comparable à celui de l'être humain pour apprendre. Et il y parvient haut la main si l'on en croit les résultats des nombreuses expériences scientifiques sur le sujet. Le sort de la maman poulpe est une belle leçon d'abnégation, de don de soi pour la survie de l'espèce. Une belle leçon que nous nous garderons d'amener sur le terrain de la morale, mais elle en dit long sur notre capacité à gaspiller.

Nous avons la chance d'hériter du savoir des générations précédentes. Nous avons atteint un degré de sophistication technologique qui nous pousse à nous regarder le nombril numérique, à nous gargariser d'avoir inventé le big data et sa cohorte de péta-octets. Et pourtant, de génocide en génocide, l'homme ne sait plus quoi inventer pour accélérer l'extinction de la sienne, d'espèce : bombe H, Mediator, G20, Big Mac. Pour un euro de plus, je vous offre une GoPro pour tout filmer. Ne soyons pas naïfs, les canons de la géopolitique sont fumants d'amnésie lorsqu'il s'agit de monopoliser les ressources rares de la planète. Et puis, épuisés, les vieux schnocks qui possèdent les fonds d'investissement qui possèdent les multinationales qui possèdent vous et moi sont beaucoup plus préoccupés par la panne de leur voiturette de golf - déambulateur le plus en vogue à Miami, où il y a également beaucoup de poulpes dans les marinas - que de transmettre le savoir aux générations suivantes.

Entre un animal aussi pacifique qu'atlantique, qui ne peut capitaliser sur sa mémoire transgénérationnelle, et un animal d'orgueil qui a tous les moyens de retenir les leçons du passé mais qui balance le devoir de mémoire dans les charniers débordants de cadavres, j'hésite. Comment les départager ? Voyons, si l'octopus est victime du bug d'héritage qui fait de lui une sorte de Sisyphe des mers, il a gagné le pouvoir de mimétisme. Je n'ai pas encore croisé un poulpe qui en déteste un autre parce qu'il est noir, jaune, rouge, qu'il a le tentacule circoncis ou qu'il a traversé la mer Méditerranée. Alors, je vote poulpe, j'aurai moins de coulpe.

Il n'y a qu'une chose qui m'ennuie avec le poulpe. C'est que c'est quand même vachement bon en salade, avec un verre de retsina.

vendredi 30 août 2013

Laurence, Paul et Mick

La lecture d’un article dans mon tabloïd préféré m’a bien fait rire. On y apprend que Laurence P., de Paris, va devenir polémiste dans une célèbre station de radio. Polémiste… Ah, le joli mot !… C’est quoi au juste un(e) polémiste ? Un(e) journaliste qui écrit des polèmes ? L'enfant de Ptolémée et d'un ébéniste, mais sans la science des deux ? A en croire les exemples récents, c’est plutôt un individu agressif ayant un QI d'escargot et payé pour baver des injures au kilomètre sur quelqu’un qui ne lui a rien demandé. C’est sympa comme boulot, ça. Polémiste, ce n’est même pas un néologisme, c'est encore un de ces mots à la con parce qu'à la mode. Cela existe depuis bien longtemps, mais le pamphlet d'autrefois laisse place à des guillonneries, la vindicte populaire sous-traite à la vindicte délétère. Désormais il/elle ressemble plus à un Terminator qu’à quelqu’un qui utilise la provocation pour nous faire réfléchir. Las ! Réfléchir, c'est désobéir, exercice de tir, tout(e) invité(e) s'appelle Sarah Connor et se pointe affublé d'un tilak. L'arrivée de Laurence illustre la mutation du T101 au T1000 en alliage poli, mime-éthique.

Peut-être que des décennies d’obséquiosité courtisane à l’égard des puissants font culpabiliser l’engeance journalistique au point qu’elle se sent obligée, pour faire mine de se rattraper, de sombrer dans l’excès inverse.
Bousculer, c’est bien. Vous voyez messieurs-dames, chez nous y'a pas de connivence.
Ben voyons.
Jeter du people en pâture au populo, c’est top pour le 'dimat. C’est un exutoire, un jeu comme un autre, de l’entertainment en somme. Ça ou un match de foot. Allez Invité, reviens, c’était pour rire !

Ou bien peut-être que vingt ans de politiquement correct nous ont tellement anesthésiés que la moindre objection, votre honneur, nous apparaît comme la controverse du siècle. Je me souviens de Droit de réponse et de ses célèbres pugilats en direct. Polémique à l'époque s'écrivait avec deux cocards. Mais alors me direz-vous, c'est contradictoire : c'était plus virulent avant et aujourd'hui tu critiques le retour de la virulence ?
Non.
Avant, c'était virulent mais franc du collier. Aujourd'hui, à l'instar de ce qu'on bouffe, c'est beaucoup plus visqueux, les toreros et toreras audio-visuels ont une vésicule biliaire en guise de muleta.

Peut-être encore fallait-il renouveler le genre chroniqueur d’émission de télé/radio (les deux genres ont fusionné depuis l'installation de webcams dans les studios de radio). A force de pulluler, ils finissent en déchets. Alors au nom de son côté miroir (mais quel côté ?), la télé commande de nouvelles têtes. Pour un bon casting, vous prenez une posture bien arrogante, bien teigneuse, et vous faites votre Brice de Nice, mais en pas drôle. Dans le Naulleau, y’a que de l’ego, zéro calorie pour le cerveau !

La différence entre la bande à Laurence et ceux d’avant, c’est que les newbies sont issus du sérail politique. Cohn-Bendit, Bachelot, Bougrab… C'est Friends 2.0. Mitterrand c’est pas pareil, il vient de la télé et il est puni, il y retourne.
Est-ce pour garantir et consolider cette complicité viscérale, ou au contraire la faire exploser par des agents infiltrés dans la matrice ? Sainte consanguinité, priez pour nous. Accordons-leur toutefois deux qualités. D'abord, avant de devenir corbeaux, ils ont été renards. Ensuite, on sait ex ante de quel bord ils sont. Ce sera rigolo de voir s'il tiennent en équilibre sur un plateau.

jeudi 29 août 2013

Dessablé mucho


Si le mois d'août à Paris ensable autant les engrenages de la machine urbaine que les berges de la Seine, cette dernière semaine a une saveur particulière. A vrai dire, c'est elle, la semaine qui concentre tous les fantasmes que j'avais éconduits tel un automobiliste frustré d'être privé de récré. Une poignée de jours, presque d'heures, où les parisiens ne sont pas encore tous rentrés, où les touristes ne sont pas encore tous partis, où les travaux commencent à finir et où, loin de la vilaine torpeur du début du mois, il fait beau mais juste assez pour accompagner le crépuscule de la gratuité du stationnement. D'où le théorème : quand les congés sont payés, les places sont gratuites. C'est une douce pré-rentrée, une belle sortie de bain où l'on profite vraiment des bénéfices aoûtiens en respirant le parfum du goudron neuf.

Il ne le restera pas longtemps. Dès la semaine prochaine, nous pourrons dire en chœur cette phrase culte : "ça y est, ils sont tous rentrés". Ce ils tonne dans la chambre que nous croyons avoir construite autour de nous quand nous sommes au milieu d'une foule dense dont, par magie, nous ne faisons pas partie car nous, c'est pas pareil. La grégaritude nous enveloppe et cet ils-lusoire et frêle anticorps linguistique joue son rôle en boutant notre ennemi, c'est-à-dire le type dans la voiture de gauche et celui dans la voiture de droite, autrement dit le stéréo-type.

Du ils aux elles, sans passer par -M-, il n'y a qu'un atoll, elles sont si habiles pour alléger leurs étoles. C'est la semaine du concours de bronzage, à se demander si les cinquante et une semaines qui précèdent et les cinquante et une qui suivent ne sont pas qu'un exercice de répétition pour cette îlot de beaux jours où leurs atours s'effacent (les atours qui s'écroulent, c'est du déjà vu). Les terrasses sont pleines et les robes sont légères sur les peaux caramélisées au sel de Guérande. L'air de rien, semblant que c'est pas exprès, ou parfois si, c'est un moment de délicieuse coquetterie féminine et ça nous pique les yeux. Merci aux fées de faire de nous des Abel Tiffauges envahis par ce "vertige féminin que le destin vous envoie pour vous faire succomber". Une légèreté souvent payée au prix fort d'un Paris-Toulon en dix-huit heures, mais ça valait la peine. Pour trouver le spot où sa peau dorera, l'exploratrice-chercheuse dort.

Je savoure ce répit dans la tectonique des hémi-stress de l'année. Regarder, respirer, lire, réfléchir, marcher, boire la bière que j'ai ramenée des vacances parce que c'est la meilleure du monde, courir, sourire en lisant ceux qui annoncent la fin de la crise (ne dites plus 'économiste', dites 'Houdini'), pleurer en pensant aux banques centrales, admirer la lucidité de Margerie. Cette quiétude éphémère est le petit espace privilégié avant de rentrer dans l'espace-temps du pas-le-temps. Lundi commencera la semaine du concours de celui qui débronze le plus vite, nous redeviendrons des clowns blancs.

samedi 17 août 2013

Privé de grosse caisse

La semaine dernière, en allant courir dans mon Parc de St. Cloud préféré, je me retrouve coincé devant la grille, comme une midinette devant un H&M avant les soldes. "Bas parc fermé pour travaux", dit l'écriteau. Bon sang, c'est la préparation du festival Rock en Seine, qui démarre le 23 août. Échafaudages, plateaux, semi-remorques, grues, rien ne manque à la pelle. La jolie plaine est défigurée en attendant d'être piétinée par des hordes de fans chevelus qui envahiront le parc, pour s'y trémousser quelques heures et transformer les bassins en vastes urinoirs où leurs vessies déverseront le houblon qui déborde de leurs uretères.

On avait déjà sacrifié la pelouse des stades pour y organiser des concerts géants. Il faut dire que ça se comprenait, car y voir 22 imbéciles courir à ne rien faire si ce n'est leurs lacets, ça devenait lassant. Alors on a généralisé les grand-messes formatées, rassemblées dans de grands colisées avec de grands écrans, de grands tarifs et de grands panneaux publicitaires, pour voir des musiciens tout petits. Tout de même, 140€ pour regarder un Playmobil courir dans un évier, psalmodier un copié/collé de son album, faire des rappels qui n'en sont pas, puis au bout de deux heures zéro zéro au compteur hop, babaille, ça me fait chier. Plus que le carré or, c'est le carré hors de prix.  Madonna, ça commence comme Madoff, non ? C'est quand Madonna off ?

Les exemples sont aussi nombreux que les spectateurs à un concert de Johnny. Un au hasard : sa Majesté Sting dont j'aime tant la musique - l'un des rares musiciens qui retravaille toujours ses morceaux pour la scène - et qui désormais se prend pour le roi, n'accordant son instrument que pour accorder du bout de la basse une audience à son audience. Il est loin le 23 décembre 1985 où j'avais été le voir à Bercy, mon premier concert, mémorable de spontanéité et de générosité, immortalisé sur un album. Ô déesse Telecaster, il n'y a plus beaucoup de Bruce Springsteen.

Comme les concerts en général, les festivals sont devenus de juteux relais de business. Les organisateurs rivalisent d'ego pour prendre l'ascendant médiatique sur le champ de patates d'en face. Faire venir telle star, la faire revenir, allez quoi, Amy tu déconnes, faire payer. De Bourges à La Rochelle en passant par Carhaix, les beuglants se déplacent au gré des vents boboïsants en même temps que leur nuage de THC. Vous me direz à raison que le cœur du festival se passe sur les scènes alternatives et qu'elles ont besoin d'une locomotive. C'est vrai jusqu'à la limite du modèle qui tient dans l'arrivée d'un train dans un virage à St. Jacques de Compostelle. Trop vite, trop plein, ça déraille. La nature ayant horreur du vide, il n'est plus une bourgade qui ne se targue d'avoir son festival, au choix, jazz pour unijambistes ou fanfare d'instruments en pierre (communément appelés instruments d'avant). Mais qui tient la grosse caisse ?

N'empêche, je suis vert, à cause de ces satanées vacances je ne pourrai pas aller voir Nine Inch Nails qui passe à Rock en Seine...

jeudi 1 août 2013

Sablé-sur-Seine

Aaaah, Paris au mois d'août ! Ça y est, c'est le jour J ! On peut enfin profiter de toutes ces choses dont on est privé le reste de l'année et qui nous manquent tellement : Paris piétiné, Paris goudronné, Paris silvouplééé...

Tous les vilains parisiens ont déserté le périph' pour le recréer 800 km au Sud non sans avoir fait ramper leur serpent grégaire sous Fourvière.  Les voici en train de faire la même queue qu'à Châtelet-les-Halles, mais à la plage, au restaurant ou au Géant Casino sur un littoral devenu pour deux mois le nouveau terminus du RER B. Qu'ils y restent, ce n'est pas moi qui irai prendre leur Défense ! Les vacances, c'est le droit de déplacer sa cohue. En attendant, Paris est à nous ! Enfin... Presque, car il faut la partager avec quelques phénomènes estivaux qui rendent l'expérience lutetiaoutienne absolument unique.

Une foule en remplaçant une autre, nous voilà envahis par celle des touristes multicolores qui viennent jusque dans nos bras, enguirlander la Tour Eiffel. Ils sont rafraîchissants et drôles, parce que pour eux, la ligne 1 du métro est une attraction. C'est leur Space Mountain local, ils sont morts de rire, et nous aussi, quand ils se cassent la gueule au démarrage et au freinage que l'automatisation a rendus si délicats. Ils sont nombreux, parfois bruyants, égarés, maladroits, mais fondamentalement et simplement, contents d'être là. Ils drainent avec eux la nuée de parasites qui leur gravitent autour pour leur faire les poches en chinois, en anglais ou en roumain, mais dans tous les cas en courant. Heureusement, nous pouvons les rassurer en déployant notre légendaire sens de l'accueil, et les taxis contribueront à ce devoir en leur faisant faire dix kilomètres de détours pour cinquante euros tout en invoquant les travaux qui empêchent de rouler.

Car ça sent le goudron jusque dans le cœur des clims et c'est le moment de briser une vieille légende urbaine... Non, ça ne roule pas mieux à Paris en août. Les axes sont fermés pour maintenance et les véhicules, finalement pas si moins nombreux que ça, se retrouvent coincés sur les déviations, condamnés par une simple loi de mécaniques pas fluides. Lorsqu'ils ne sont pas bloqués, la plupart des automobilistes appliquent le théorème de paresse : "on est en août, alors quand mes roues sont parallèles j'ai le droit d'être lent", et au final ceux qui bossent mettent toujours 45 minutes pour faire Porte Maillot - Porte d'Orléans.

Peu importe, il fait beau, il fait - très - chaud, on peut profiter de cette période pour passer de 36°C irrespirables à 13°C option grêle en 24 heures, c'est le côté Paris-Djakarta pour l'exotisme. Le soir venu, on pourra admirer la lune jaune au-dessus de l'Etoile grâce aux remontées des dioxydes de carbone et autres gaz réfrigérants de la journée. C'est une belle carte postale, en vente chez Airparif.

Comme tout est fermé, prenez vos dispositions, car pendant un mois, par un phénomène que le monde entier nous envie, la Terre va s'arrêter de tourner. Trouver un garage, un service, un organisme ouvert ? J'ai un doute d'août... N'oubliez jamais cette maxime : aux États-Unis vous êtes un client, en France vous êtes un emmerdeur. Alors s'il vous faut un pack d'eau, allez le remplir dans la Seine.

Vous n'aurez pas tout perdu car s'il y a un endroit ouvert, c'est Paris Plages... Je vous vois sourire, mais je me garderai bien de critiquer Paris Plages. D'abord, parce qu'il y a déjà plein de gens qui s'en chargent. Exagérer n'est pas s'acharner, je laisse cela aux journalistes, chacun son métier, et ne saurais tirer sur une ambulance surtout quand elle est prise dans le sable. Ensuite, n'en déplaise à ses tracteurs, Paris Plages apporte du bonheur aux gens. Je flâne et je vois les bronzeurs qui regardent les passants qui regardent les bronzeurs jusqu'à bronzeur du soir, les zivas qui matent les filles qui se montrent (des hakuna mateurs ?), les brumisateurs qui préviennent les bobos du soleil. Et quoi, vous en connaissez beaucoup, des endroits où l'on peut attraper un si joli bronzage à l'ozone ? C'est un must à l'heure où le teint marronnasse outrancier apparaît d'un vulgaire ! L'autre bout de la Terre, ça rime avec charter et ambre solaire, tandis que notre solarium immatriculé 75003, c'est quand même autre chose ! Alors, j'invite tous ceux qui seraient tentés de critiquer ce concept à aller regarder du côté de Palavas-les-Flots... Là-bas, pour reconnaître votre cul sur la plage, fourrez-y un piment et pour vous entraîner, enfilez votre maillot en gardant les pieds sur un ticket de métro. Plus à l'est, vous trouverez des plages privées d'intelligence, des pontons blingueurs, où quelques dégénérés s'arrosent à coups de magnums de champagne et paient leur matelas au prix du mètre carré... parisien ! Allez, j'y retourne, y'a un loustic qui veut piquer mon transat.

lundi 29 juillet 2013

Mercat' fair foot


"On est à la fin du XXème siècle et les hommes sont toujours à vendre. Voilà une pollution morale qui me paraît plus importante que de savoir s'il faut mettre du détergent dans l'Escaut ou dans la Meuse". (Jacques Brel, 1971).

Grand Jacques, j'ai une mauvaise nouvelle : ça ne s'est pas arrangé en passant l'an 2000. Le mercato est devenu la norme, qui n'étonne plus personne tant elle a pénétré chaque souffle d'un air que nous connaissons, irrespirable...

Cavani rentre en scène pour 64 millions d'euros au PSG, dont Beckham vient de partir après trois petits tours et des larmes de crocodile. Que n'a-t-il sollicité Lacoste ! En décembre, on assistera à la valse des pilotes de F1. Ça, c'est pour la partie la plus évidente (par 'évidente', j'entends la plus atteinte), le sport, déjà évoqué ici. Le sport, ou le rapport tapin/maquereau mis au service du spectaculaire... C'est vrai quoi, le foot avant c'était ringard, ça ressemblait à Intervilles. Maintenant, ça ressemble à Intermarché, à la nuance près que les mercenaires ont remplacé les mousquetaires...

Sinon quoi ? Anne-Sophie Lapix est assignée par Canal+ parce qu'elle a signé chez France 5. En 2007, Eric Besson, ex-secrétaire national en charge des questions économiques du PS, annonçait son ralliement au camp adverse, vous vous souvenez sûrement du tollé que cela provoqua. Télé, sport, œnologues, professeurs, politiques, etc. Vous en voulez encore ? En 20 ans, la bactérie mercenariat a dévasté toute notre flore mentale. Le monde s'est staracadémisé. J'aimerais lui faire une ordonnance, et une sévère...

Le hublot de la télé n'étant jamais que celui d'une machine à laver le cerveau, attention aux tâches quand ça déteint sur la vraie vie, au travail par exemple. C'est plus subtil, décoloré, mais il reste toujours quelques auréoles. On parle pudiquement d'"attirer les talents". Au fait, c'est quoi les talents ? Un bon petit soldat des RH vous expliquera avec des mots choisis qu'un talent c'est un autre bon petit soldat qui exécute ici ou ailleurs en attendant qu'on le vire le jour où "on" aura décidé qu'il coûte trop cher (de préférence à partir de 50 ans, mais chuuuuut, je vous ai rien dit). Exemple : Bob Denard avait beaucoup de talents. Dans le civil, de nombreuses entreprises ont développé le concept de marque employeur pour se rendre si vilement attractives. La marque employeur est à l'emploi ce que les travelos sont au bois de Boulogne : une vitrine dont tout le monde sait que c'est du toc mais tout le monde ralentit quand même en passant devant. C'est combien ? Disons qu'il a fallu à l'homme 2,5 millions d'années pour traverser l'âge de pierre et 8.000 ans pour arriver à l'âge de la pipe. Si c'est pas de l'évolution... Zut Zazie avait raison à tous égards.

Est-ce par mimétisme, est-ce par osmose, est-ce pour absorber sa propre matière, la matrice nous digère et nous régurgite mercenaires. Nous voilà plongés dans un monde où tout se consomme parce que tout est jetable. De quel cul de poule mercateuse est sorti cet œuf pourri ? A moins que ce ne soit l'inverse.  Un problème avec Orange ? Pas de problème, je pars chez SFR. Ma banque refuse de renégocier mon emprunt sans une propale d'un concurrent ? Pas de souci, j'en fais faire une et puis tiens, je pars chez le concurrent. Mon employeur m'emmerde ? Claquage de porte, je pars chez un autre. Oups, y'en a plus ! Mais on ferait comment, alors ?  Aller dans le club d'en face, ou l'écurie, ou la chaîne, je ne sais plus. Quant à devenir self-employed, c'est se transformer en moucheron face au pare-brise d'un marché pluvieux. Et gare au mercenaire-garou qui, non content de présenter The Voice, peut vous mordre les nuits de pleine thune. Vous seriez envoûtés par l'esprit footballeur à tendance diva. C'est bien connu, c'est quand le chat est repu qu'il trouve que le cul de la souris pue. Le contrat moral est en cendres, qu'il repose en paix aux Marquises pendant que je me consume quand je m'auto-consomme.