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mardi 31 décembre 2013

La guerre des cuvettes

Je l’entends arriver. C’est normal, l’espace est exigu, l’endroit résonne. J’enclenche aussitôt la procédure de discrétion silencieuse. Elle consiste à se terrer, se figer, comme un lapin dans son terrier, comme un sous-marin nucléaire en azimétrie passive, et rester immobile en espérant que ce lambeau qui pendouille ne lâchera pas, ce qui trahirait aussitôt ma présence en ces lieux d’aisance. C'est le début d'une sourde guerre des nerfs que tout le monde vit au moins une fois par jour mais dont personne ne se vante. Normal, c’est une histoire de vains culs. Tenir, tenir coûte que coûte en priant pour que la faïence devienne anéchoïque, c'est au premier qui craquera et sortira en terrain dégagé, brisant l'anonymat rêvé des moments peu glamour. Et ça peut durer looongtemps. Ces moments d'intimité forcée sont très révélateurs. Dis-moi comment tu chies, je te dirai qui tu es.

Chez des individus supposés socialisés, civilisés, instruits et espérons-le, propres, la simple arrivée d’un semblable dans le périmètre de la litière du premier provoque chez ce dernier une inénarrable tétanie sphinctérienne. Probablement est-ce dû à la peur d’être vu, entendu, croisé, voire démasqué comme l’auteur de ce vilain pet, le responsable de cette nauséabonde réplique de Bhopal. Admettons-le, croiser un collègue, pour peu que ce soit le chef, nous envahit d’un sentiment aussi humain que paradoxal : le soulagement de savoir que tout le monde a les mêmes contraintes physiologiques, mêlé à la gêne de s’en libérer en groupe. C'est d’ailleurs l'objet d'une phobie très répandue, la parurésie. Des années d’observation minutieuse de ces phénomènes copro-chutistes m’ont amené à en distinguer des tendances.

D’abord, propreté et statut social sont bien décorrélés. Je me souviens d’avoir été le témoin involontaire du passage d’un ponte du cabinet à l'endroit homonyme, alors que j’étais piou-piou. J'étais entré en action et je l'entendis débouler d’un pas énergique, c’était un grand gaillard au physique de rugbyman. Croisant un autre, il signa là sa présence avec un sonore « bonjour » de circonstance. Une fois cadenassé et installé, il lâcha la bride à une horde de scories fécales sous pression hyperbare dont l’évacuation fit trembler le bâtiment. Cette éruption coupa net mon timide égouttage collatéral. Il devait être très pressé car il repartit aussitôt et je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu le lavabo ni le pouêt-pouêt caractéristique de la pompe à savon.

Ce qui m’amène à la seconde observation... Le lavage de mains fonctionne de manière exactement inverse à la parurésie : beaucoup d’individus ne se lavent les mains que s’il y a des témoins. N'oubliez jamais cela quand vous déjeunez à la cantine avec un collègue qui a fait escale sur le chemin et pensez à lui demander s'il a croisé du monde.

Enfin, certains hommes, sans doute des créatifs contrariés, trompent l’ennui relatif de ces moments de sérénité animale en décorant ce qui est à leur portée avec ce qui est à leur portée. C’est ainsi que l’on trouve, accrochées aux carreaux telles des toiles de maîtres, des sculptures de matières muco-nasale savamment réparties. De même, est-ce par désir esthétique ou par instinct refoulé de marquage de territoire, que la délicate porcelaine blanche se trouve si souvent maculée de flaques, au point que l’on ressort de là en voyant le monde jaune citron ?

Je me suis toujours demandé comment c'était du côté des filles. A mon grand étonnement, j'ai souvent entendu le tonnerre gronder de l'autre côté de la cloison. Des rafales décomplexées, Aphrodite avait dû manger trop de moussaka.