Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
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samedi 22 juin 2013

La compagnie de la mouette bleue

La mémoire est un phénomène extraordinaire. On parle souvent de ses trous, moins de ses détours. Or parfois elle nous en joue, des tours. Comme pour faire de nous d'improbables Sisyphe eidétiques, elle décide de nous accrocher un boulet que nous pousserons sur nos montagnes de souvenirs. Le cariste de notre cerveau-IKEA nous en ramène quelques-uns en kits, avec la dévotion du labrador convaincu que nous voulons passer le reste de notre vie à relancer ces putains de bouts de bois. Comme une écharde dans le synapse, chacun fait l'effet d'un aliment coincé entre deux dents. On fait mine de s'habituer, ça devient un tic, on passe la langue pour tenter de le déloger, tantôt par surprise, tantôt en force. Sauf que les souvenirs partiels, ça ne se traite pas avec du fil dentaire.

C'est le genre de sujet que vous ne pouvez partager avec personne. On doit être tout au plus deux dans le monde à s'interroger sur ce lambeau d'image, de musique, de texture ou d'odeur, autant dire l'inintérêt qu'elle a dans une discussion en société. C'est à peu près aussi captivant que de parler de son nin-nin. Si toutefois vous l'évoquez, vous risquez de passer pour le Gilbert Sellman de service lorsqu'il clame "ça tombe bien, mon frère est gendarme !". Vous voilà prévenus. Assurez donc vos arrières et avouez plutôt que vous regardez Secret Story, il y aura toujours quelqu'un qui trouvera ça amusant.

Vous êtes donc seul(e) ou presque. Dans un moment de mansuétude, Mnémosyne eut pitié de vous et introduit un ami dans votre cellule neuronale. Google fait ce qu'il peut, mais depuis tant de temps la question est trop large, elle renvoie trop de résultats. Générique de série télévisée, années 1970, Visiteurs du mercredi... Non, ce n'était ni Les Robinsons suisses ni Skippy le grand gourou. Trop évident tout ça. Parmi les rares indices il y avait bien ce mot étrange, "tokismo", capté dans un flot de paroles. La clé de l'énigme, peut-être ? Qu'est-ce que ça pouvait vouloir dire ? Inconnu au bataillon des mots-clés. Ce n'était pas du français, c'est certain. De l'anglais ? A 6 ans, je n'en savais rien. J'avalais les syllabes phonétiquement, comme celles de Travolta dans Grease : "Agatiou, zébo ze blayeur..." version auto-interprétée de "I got chills, they're multiplying..." (au passage il est intéressant de noter comment la ligne de basse de ce morceau a inspiré celle du générique des Bronzés font du ski, dont peu de gens savent qu'elle fût composée par Pierre Bachelet, je tiens à cette parenthèse hautement culturelle et parfaitement hors-sujet). Ça fait léger pour identifier une séquence.

Avec comme dernier recours un bout de mélodie en tête, c'est un échantillon, pas une requête. J'avoue, j'ai même fredonné l'extrait dans SoundHound. Réponse de l'application : "Alex, on peut se parler franchement... Tu vois, si tu voulais passer le casting de The Voice, comment dire... Tu sais, c'est bien comme métier aussi, consultant...". Las ! Que n'ai-je introduit un éditeur SQL dans ma cervelle !

Il restait les forums, drôles de manèges qui tournent en rond. Vous êtes suspendu au souvenir d'un autre, comme sur un trapèze. Et puis un jour, un esprit béni poste un commentaire fourni, contenant la liste exhaustive de toutes les séries pour la jeunesse diffusées dans les années 1970. Quelques clics, croisement d'informations... Allelujah !! Voilà, vous y êtes, c'est le générique d'une série yougoslave - à l'époque, l'ex-Yougoslavie n'existait pas encore - une bande de mômes sur un caïque, non ce n'était pas le radeau de la méduse ce bateau, et encore moins l'école en voilier. Cette mélodie, ce chant qui sonne patriotique, le mot-clé... And the winner is : La compagnie de la mouette bleue ! Enchanté, moi c'est Alex. Franchement, ça vous dit quelque chose ? Peu importe, à cet instant un grand soulagement m'envahit, à la fois profond et absurde. Après 35 ans de poil à gratter mental, je rends à ces arts ce qui appartient à la tierce mémoire, ce soir je dormirai du sommeil lourd de celui qui a l'esprit léger.

PS : par une authentique ironie du sort, une mauvaise manipulation m'a fait effacer ce texte au moment de le mettre en ligne. Je l'ai réécrit intégralement de mémoire, mais vous n'êtes pas obligés de me croire ! :o)

dimanche 16 juin 2013

Cinquante nuances de prix

Vous avez remarqué ? Ils sont là, tout autour de nous, omniprésents. En quelques années ils ont proliféré, infiltré les étages, les murs, les ascenseurs, les téléphones, les bureaux, les messageries. Patiemment, méthodiquement, sans faire de bruit. Jusqu'au jour où un mail annonce de nouvelles procédures qui les rendent incontournables. Après avoir vécu dans l'ombre, ils se déploient au grand jour. Mais de l'ombre ils ont gardé le goût de l'obscur.

Ils affichent l'arrogance de ceux qui ont pris le pouvoir, pas par putsch et encore moins par talent, mais parce qu'un système crépusculaire leur a abandonné le cockpit et leur a donné toute licence pour faire baisser. Faire baisser tout court, oui, car ce sont les deux seuls mots qu'ils connaissent. Avec la caution de quelque consultant boozeux qui leur a vendu une fortune les trois slides où il a écrit cette conclusion : faire baisser. Pour noyer le poisson et justifier ses honoraires, le consultant avait pris le soin de travestir son assertion en stratégie avec le verbe "rationaliser" qui, quand on y pense, ne veut rien dire de concret.

Ce qui est concret, c'est leur opportunisme sexué, ils vont donc tout faire pour vous baisser. Vous baisser, vous baisser encore, vous baisser jusqu'à la moelle, jusqu'à vous rabaisser complètement. Ces sont les DSK de la baisse. Pour eux vous n'êtes qu'une histoire de coûts. Ils atteindront l'orgasme quand vous serez à genou. Leur fantasme est de n'avoir qu'un seul partenaire. Un partenaire unique qu'ils niquent à coups de pratiques iniques. Un partenaire qui a le rôle du ringard puisque lui, il assume son travail. Un partenaire corvéable à merci, dans le contrôle de gestion duquel il pourront s'ingérer à outrance, et décider combien d'argent celui-ci a le droit de gagner, ou de perdre. Un partenaire, vraiment ? Non, un tamagotchi.

Pour survivre dans cet univers parallèle, révisez votre géométrie. Ils ont un mental de chef de rayon, gèrent des périmètres qu'ils découpent en segments. Et tant pis pour Thalès si leurs lignes de conduite sont loin d'être droites. La quadrature du cercle, c'est d'être dans le leur. Ils distribuent les cartes et les rebattent au gré du vent qui est leur langage. Ils vous convaincront que vous pouvez vivre d'amour et d'eau fraîche, à condition de commencer par la douche froide. Ils vous apprendront l'indifférence, la condescendance et le mépris. Ils vous montreront comment on revient sur un engagement pris, comment on n'a pas dit Jacques-a-dit. Ils élèvent des carottes par centaines, sans que cela ne les rende aimables. Ils élèvent la voix surtout, si on questionne. Je te référencerai si je veux, quand je veux, gentille alouette, regarde le miroir où je te plume. C'est un miroir sans tain d'où je t'observe, un miroir noir comme la black-list que j'agite façon épouvantail.

Ils fignolent leur besogne sans se préoccuper du long-terme. C'est normal, la structure de leur rémunération ne prend en compte que les gains immédiats. C'est très sain comme système. Ça les rend aveugles et sourds quant à une quelconque réalité des impératifs business. Ils réagissent face à un commercial comme vous et moi face à un cafard. Les voilà envahis par un sentiment de dégoût mêlé d'omnipotence qui les pousse à l'écraser malgré le caractère inoffensif de l'individu (inoffensif ne voulant pas dire intelligent). En un mot : ils exécutent.

Avant, on pouvait discuter. Mais ça c'était avant. Comme de mauvais acteurs dans ce théâtre du boulevard des réductions de coûts, ils répètent leurs dialogues éculés à longueur de journées, prisonniers qu'ils sont de leurs postures, et finissent par se confondre avec leur personnage. En Amérique, en Allemagne, leur rôle est de fertiliser un écosystème utile à l'entreprise, de vous aider à identifier des besoins auxquels vous pourriez répondre, de vous faire connaître. Au pays du Roi-Soleil, ils vous invitent, s'ils veulent, à assister à leur séance de chaise à trou au-dessus de vos propales.

Les acheteurs ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît.

mercredi 12 juin 2013

Tsongateau d'anniversaire


Vendredi 7 juin 2013, tous les cocori-chroniqueurs de France et de la planète terre battue s'en donnaient (s'en Donnay ?) à plume-joie. Jo-Wilfried Tsonga jouait une demi-finale à Roland-Garros, 30 ans quasiment jour pour jour après la victoire de Yannick Noah au même endroit (5 juin 1983). Quel symbole ! Que n'a-t-on pas lu et entendu ! "Ah la la, ce serait formidable", "Il peut le faire", "Je sens qu'il est parti pour gagner", "Il a un pied en finale", "L'héritier de Noah", "Allez, encore, Jo, oh oui, oh oui, raaaaaaaaah... Oups, j'ai éjaculé sur mon clavier...". Résultat : Tsonga s'est fait corriger en trois sets (6-1, 7-6, 6-2) par l'espagnol David Ferrer, n°5 mondial, manifestement supérieur et déterminé comme un taureau de combat. Il repart du tournoi une main devant une raquette derrière, avec sa médaille en Kinder Bueno. Hey, what did you expect ?

N'allez pas croire que je me moque. Je n'ai rien contre ce garçon et j'aurais été sincèrement ravi qu'il gagne. Tsonga est un bon joueur, mais justement, ce n'est qu'un bon joueur. Pas un grand champion. Le chauvinisme nombriliste que des tas de nez-de-boeufs entwittés essaient de faire passer pour de l'enthousiasme, ça me fait l'effet inverse. "Le public rêve que ça se reproduise", disent-ils. Heu, non, moi je rêve juste que mon pays soit vraiment meilleur en sport et en plein d'autres choses, sans la ramener constamment. Se satisfaire d'un happening, quel intérêt ? En France, c'est bien connu, nous donnons des leçons à tout ce qui fait un coup droit. En tennis, nous n'avons subi aucun revers, surtout quand on arrive laborieusement à mi-tableau dans une compétition. Alors vous pensez, une demi-finale de grand chelem, on va passer les vacances à Lourdes !

La France est un pays moyen en sport. C'est dit. Bien sûr, nous avons notre hall of fame de grands champions, un tous les dix ans en moyenne, mais il n'y a pas beaucoup de Jean-Claude Killy ni de Teddy Riner, n'en déplaise aux irréductibles gaulois qui iront chercher la preuve du contraire derrière la virgule d'un classement. Yannick Noah reste le tennisman français qui a été le mieux classé à l'ATP : n°3. C'est là tout le problème. Au pays de l'égalité, les vrais héros sont les moyens. Il brandit son statut d'icône nationale, de PPDF (personnalité préférée des français), comme il souleva les quelques trophées qu'il remporta. Sa position actuelle, devrais-je dire sa posture, il ne la doit pas à sa carrière sportive qui est en valeur absolue et en valeur relative une quantité négligeable. Il a gagné UNE fois un tournoi du grand chelem, et c'était Roland-Garros, c'est un fait. Il y a ses coupes Davis 1991 et 1996, ok. Mais fondamentalement, on va pas s'mentir, il a été un outsider. Que doivent dire les Borg, les McEnroe, Navratilova, Graf, Becker, Edberg, Sampras, Agassi, Federer et Nadal ? Se permettent-ils, eux, de dire "s'il gagne, je me casse" ? A moins que cette phrase ne soit un écho inconscient à ce qui se passa sur les courts où il tourna, court également.

Peut-être l'avez-vous remarqué, je ne fais pas partie du Yannick fan-club. Ce côté j'arrive avec mon faux cool de chippendale quinqua, ça m'incommode. Saga Africa, ça m'agace fissa. En novembre 2011, Yannick a écrit une tribune dans Le Monde en accusant le sport espagnol d'être gangréné par le dopage. Cela provoqua un tollé, olé ! Si son article transpire l'amertume, il faut lui reconnaître le mérite d'avoir lancé un pavé dans la marre où pêchent les hypocrites de tout poil, lesquels ne manquèrent pas de s'offusquer comme il faut. Son billet commence par un constat que je partage totalement : "à côté d'eux, c'est simple, on a l'air de nains". S'en suit une démonstration par A+B que les espagnols sont rien que des tricheurs qui se dopent avec la "potion magique" et passent entre les mailles du filet, alors que nous français, on est honnête et on se fait tout le temps gauler. Conclusion : il faut légaliser le dopage. Rien que ça. Et Virenque président, tant qu'on y est ? 

Néanmoins, pour avoir eu ce courage provocateur, il est remonté un peu dans mon estime (il serait monté beaucoup s'il n'avait pas occulté le cas de ces pères qui droguent leurs enfants ou leurs adversaires pour les faire gagner ou perdre dès leur plus jeune âge). Drôle de combinaison : celui qui fût, à l'échelle de l'histoire du tennis, un challenger, a remis l'église au milieu du village, peut-être par excès d'aigreur ou par fierté mal placée. Yannick le cynique, sors de ce corps ! Alexagère va finir le travail : on le sait que tout ça c'est pas du sport ! On s'en fout d'ailleurs. Nous, on est des Homer Simpson. Ce qu'on veut, c'est du pain et des jeux, c'est nous abreuver de matchs et de Tours de France en buvant de la bière, en nous grattant les couilles, oublier un peu l'usine en regardant les gladiateurs modernes qui continuent de se tuer, mais à petit feu, à petite fiole. On le sait que tout ça c'est pour qu'on aille acheter des maillots PSG chez Nike et des survêts' Adidas. Résultat, on se rue chez Décathlon pour acheter du Qechua, du Kipsta et du Kalenji... Je ne connais qu'une personnalité du monde dit sportif qui assume. Bernie Ecclestone, grand argentier de la Formule 1, a dit devant toutes les caméras du monde en 2012 : “we have to understand that we are in the entertainment. (…) All sports today are show business and it gets dangerous for a sport if people start to forget that”. Bon, il a aussi déclaré au Times en juillet 2009 qu'Hitler était efficace, comme quoi on peut être gâteux avant d'être lucide. Alors si Renault fabrique des moteurs de F1, ce n'est plus uniquement pour faire plaisir aux allemands, c'est surtout pour vendre des Clio. Si Citroën est champion du monde WRC, c'est pour que Sébastien Loeb vante du déodorant. Rien de nouveau sous les aisselles.

En attendant je suis content pour les espagnols. Ce pays qui est dans la mouise économique peut se targuer d'être un grand pays du sport, pardon, du show business. Du football à la Formule 1, du tennis au cyclimz en passant par le basket, force est de constater son éveil et sa domination. Le prochain messie (je m'abstiens d'écrire Messi) français de la balle jaune serait peut-être bien inspiré de prendre le chemin de St-Jacques-de-Compostelle.

samedi 8 juin 2013

Défense immunitaire

Pour qui ne connaît pas le quartier d'affaires de La Défense, il convient de fournir un guide, voire un petit kit de survie, le mot n'est pas trop fort. J'ai déjà parlé ici du Manimal qui est en nous. La Défense, c'est un peu comme aller à la rencontre des animaux en liberté dans les réserves zoologiques d'Afrique du Sud. Sauf qu'en Afrique, les animaux, ils ne sont plus vraiment sauvages. Sur les 65,8 millions d'habitants que compte l'Hexagone, 250.000 fréquentent quotidiennement cette Mecque du stress. Ce qui suit s'adresse, à travers quelques points de repère, aux 65.550.000 personnes qui pourraient s'égarer dans ses 14 km² (Monaco : 2 km² ; Vatican : 0,44 km²).

Le serpent
La Défense est desservie par un immense ver de terre tentaculaire. Son nom local est le ver de RER. Ce lombric malodorant ingurgite et recrache chaque jour 100.000 personnes contorsionnées. A La Défense, ce qui risque de vous écraser, ce n'est donc pas une voiture, mais un piéton. Enfin je veux dire, un troupeau de golems lancés comme des gnous, profitant de l'effet de masse pour ne surtout pas modifier l'axe de leur course. Ce flux ininterrompu de bovins est effrayant. Il prolonge le ver en un serpent géant, sombre, un serpent qui ne rampe pas, qui martèle la dalle d'un bruit sourd de pas résignés. Le serpent a un sens, une queue et une tête qui n'en démord pas. Ne cherchez pas à vous interposer. Si vous avez le malheur de vous trouver à contre-sens, il ne fera qu'une bouchée de vous, et vous vous retrouverez tel le pauvre saumon d'Alaska qui remonte le courant en se faisant gifler par l'écume (dans les deux cas il s'agit de frayer). Bousculer n'est pas malpoli à La Défense. C'est un signe de reconnaissance. C'est l'écume des lourds.  Si à 50 ans tu n'as jamais bousculé à La Défense, c'est que tu as raté ta vie de cadre moyen. Vous direz sans doute que je radote, mais la lâcheté grégaire, vraiment, je ne peux pas.

Vers le haut
Après avoir franchi ce barrage sans barrière, vous arriverez dans le hall de la tour Truc. Un air de reviens-y, la même queue que celle du RER, que celle du télésiège des Menuires, que celle d'hier et que celle de demain, pour franchir les portillons badgés qui crépitent comme des caisses de Monoprix. Voilà, vous y êtes presque mais pas encore tout à fait, c'est le moment de s’agglutiner devant l'ascenseur. Parce qu'en France, faire la queue c'est un peu comme être riche : c'est la teuhon.

Les quatre-vingt dix secondes qui restent avant d'atteindre votre étage sont délicieusement intimes. Vous allez vous engouffrer dans la cabine devenue pour l'occasion un salon de test pour toutes les versions de Nivea/Narta/Obao/Sanex anti-transpirants dont vous constaterez l'inefficacité sauf pour diffuser cette odeur acre et insupportable qui est la même depuis 30 ans parce qu'elle ne coûte pas cher à produire. C'est aussi l'un des rares moments où l'espace devient sonore. Voici un petit lexique pour interpréter les borborygmes que vous entendrez peut-être.


Son émis
Signification
‘Jour ou ‘bjour
Bonjour
‘Ci 
Merci
‘Voir 
Au revoir
‘Hmmm-né 
Bonne journée
‘Don’ 
Pardon


A ce stade de votre périple, vous serez heureux de rencontrer ce fameux blaireau, celui qui arrive en courant lorsque les portes de l'ascenseur se ferment enfin et que personne n'a cru bon d'appuyer sur le bouton qui les ouvre. Non content de tasser tout le monde et de marcher sur vos chaussures, il déclenche la procédure de sécurité, les portes coulissent maintenant au ralenti, sauf si un deuxième blaireau, tel une lame Wilkinson, vient terminer le travail du premier. Naturellement, il ajoutera une escale en s'arrêtant à un étage inférieur au vôtre, histoire de faire chier jusqu'au bout.

Les ventres : ô rage, odieux restaurants !
Vient le moment de se restaurer, verbe qui paraît usurpé à La Défense tant les sustenteurs professionnels affichent l'arrogance d'un phare d'Audi dans le rétroviseur d'un Scenic. Une clientèle captive qui se bouscule pour avaler des mauvais plats très chers très vite, ça peut faire tourner la tête autant que les assiettes. Je range les tauliers esplanadins dans la même catégorie que les garagistes et les taxis. Sauf un, mon ami Philippe, qui est devenu mon ami parce qu'il n'a jamais cédé à la facilité de laisser ses instincts les plus bas conduire son établissement. Il passe pour un ovni dans cet univers indigeste. Sinon, vous avez l'option cantine. Au menu, vous pourrez écouter vos collègues se plaindre (appuyez sur 1), refaire le monde et la stratégie de l'entreprise (appuyez sur 2), dire du mal d'un collègue (appuyez sur 3). Que de repas légers, en somme.

Le soir
Idem Vers le haut, mais en sens inverse.

Les clopards aux portes
Devant l'entrée des tours, ils font mieux que des videurs musclés. Ils ont le regard triste, comme des détenus autorisés à la promenade dans une prison de volutes, passage obligé pour accéder à la prison de verre. Le nuage puant qu'ils fabriquent vous donne envie de vomir et de tourner les talons.  Si ce n'était pas pour cette réunion de closing où vous espérez faire signer M. de Mesmaeker, vous partiriez en courant, juste après leur avoir vidé votre vessie sur leur paquet.

The bureau afterlife
En fin de journée, telles la faune de la savane, des cohortes de cadres à la cravate desserrée débarquent bruyamment dans les bars pour le pot d'untel, pas de pot. Ils viennent se bourrer de chips à la bière, chanter les rêves qui les hantent au large de l'esplanade, et roter leurs histoires de bureau peuplées de chefs de projets qui bandent aux néons rances. Et ça sent la promue jusque dans le cœur des timesheets que leurs grosses mains invitent à revenir en plus...

Défense de sortir
Moralité : à La Défense, il y a les quatre temps. Le temps du stress en auto, le temps du stress en métro, le temps du stress au bureau, le temps du stress au resto. La vision qui donna naissance à La Défense en 1958 était légitime dans le contexte de l'époque. Elle a juste oublié d'anticiper le phénomène de saturation qui fait de cette ville l'enfer de l'ouest. A cheval sur trois communes, intercalée entre un ghetto de riches et des ghettos de zivas, elle est devenue le plus grand ghetto de cadres d'Europe. Entasser un maximum de personnes dans un minimum d'espace, ça me rappelle quelque chose. Le travail rend libre, vraiment ?

samedi 1 juin 2013

L'âge du soleil de cristal vert

Quel rapport y a-t-il entre les exoplanètes, le projet d'allongement de la durée de cotisation pour les retraites et les lasagnes au cheval ? Il y a la science, ses conséquences sur notre espérance de vie théorique, et sur les aliments, théoriques eux aussi, qu'on nous fait avaler pour obtenir ce petit supplément de life très incertain. Car à y regarder de plus près, les populations des pays dits développés ont de plus en plus de raisons de mourir avant leur heure. D'ailleurs le Science & Vie de cette semaine fait sa Une là-dessus. Un paradoxe qui n'est pas sans rappeler certaines visions d'anticipation.

Lorsque j'ai vu pour la première fois Soleil Vert, étant petit, j'ai été marqué par l'audace de l'histoire et de sa conclusion. Adulte, j'ai lu les journaux, j'ai vu l'ESB, le beurre frelaté, le lait chinois à la mélamine, et Spanghero. C'est que le début, d'accord, d'accord... Toujours dans les années 70, souvenez-vous de la Cité des Dômes et de son rituel du Carrousel. Thème : au-delà de 30 ans, tu es un survivant. Attendez voir, je regarde...



Officiellement, les conditions de vie dans les pays dits développés n'ont jamais été aussi bonnes. Saint Gapour, priez pour nous ! Tout il est propre, tout il est calibré, comme ces saletés de tomates élevées à la seringue. On devrait dire "raffiné", comme le sucre, comme l'huile de cuisson, comme en fait tout ce que l'on absorbe ou presque. Un bien joli mot pour décrire un massacre sanitaire programmé. A force de raffiner, on ne frôle pas le raffinement, non, on rabote les défenses immunitaires, on dérègle le cycle hormonal, on bouche les artères. En deux mots : l'aile ou la cuisse. C'est à croire que tout est fait pour nous donner l'occasion de partir avant la fin du film. Par politesse, par élégance,  parce qu'on est de plus en plus nombreux et qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde vu qu'avant de squatter Mars ou la lune il va s'écouler un certain temps, déjà qu'on est pas foutu de prolonger le RER E pour désengorger le A.

Mais alors vous allez me dire : mourir d'un a.v.c. ou d'un cancer, c'est d'un plouc ! Le cancer du bras droit de Coluche est un produit banalisé. De la mort de grande consommation, du décès à l'aspartame. Ça fait quand même mieux d'avoir une inscription "victime d'attentat" écrite sur sa tombe ! Alors justement, pour les récalcitrants à la mort par raffinement, la matrice a mis à jour son catalogue des morts VIP. Au choix, il est désormais très tendance de piocher parmi les propositions suivantes : tornade, crash aérien, fait divers sordide, immolation et bien sûr, attentat. Un produit en plein boum !

Dans ce contexte, il faut rendre hommage aux terroristes. C'est un vrai sacerdoce que d'assumer le rôle du méchant. Depuis la fin de l'idéologie communiste, réduite à l'état de parc d'attraction au nord de Séoul - très mal situé d'ailleurs, c'est loin, pas pratique d'accès, mal entretenu, et après ils s'étonnent que personne ne vienne les voir - la relève est assurée par les barbus. Quel boulot ! Rester coincé au moyen-âge, être obligé de porter des vêtements trop grands, ne même pas avoir de quoi se payer un rasoir et vivre sans coran alternatif, si ce n'est pas de l'abnégation ! Ils s'épuisent à discourir et assument leur mauvaise haleine : à chaque fois qu'ils parlent, ça pue. Tout ça en gardant le sourire, avec un légendaire sens de l'humour : charia ne vient-il pas du verbe charrier ? 40 ans après Rabbi Jacob, ils sont les héritiers de son message de tolérance et rient aux éclats (oui, vraiment, aux éclats) quand on leur dit "Slimane, vous êtes musulman ??". Vous n'imaginez pas, mais sous leur burqa, les femmes afghanes sont mortes... de rire. Alors n'est pas terroriste qui veut. Face à un afflux de CV sans précédent, la sélection est rude quand il est notoire que même aux fonctions suprêmes, il s'agit d'habiter dans un enclos blindé avec vue sur rien, même pas internet et des hélicoptères qui s'écrasent dans votre jardin. Si le patron n'a plus de parachute doré, où va le monde ?

Le monde il se bouscule aux heures de pointe dans les gares, les aéroports, les centres commerciaux, en espérant croiser le chemin du VRP de la djihad company, pour pouvoir dire "j'y étais !". Vous êtes naïfs ou quoi ? La mort de luxe n'est pas donnée à tout le monde. Si vous n'êtes ni militaire, ni marathonien, vous n'êtes pas dans la cible marketing du moment. Normal, il y a trop de mécréants, alors faites la queue, comme tout le monde.

Le monde il va peut-être, lentement mais sûrement, à la rencontre de l'astéroïde qui nous mettra tous d'accord en 2036. En attendant, profitons de la vie, la chair à saucisse, c'est nous ! Et aux barbus qui seraient tentés de nous tenter en assénant que ce n'est  pas bien de rire, je réponds que c'est la seule mission divine que je (re)connaisse. Mourir de rire, la classe, non ?