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jeudi 18 juillet 2013

L'immonde du silence

En 1998, lors d'une mission aux Stazunis, je fus marqué par le comportement d'une collègue indigène. Nous croulions sous le travail, et elle ponctuait ses journées en laissant des messages à tous ses collègues locaux concernés par le projet. A l'époque, cette frénésie méthodique m'avait étonné et agacé, je ne voyais pas l'intérêt d'appeler tout le monde en permanence pour la moindre question. Une incubation de 15 ans plus tard, je réalise à quel point j'ai été contaminé. Je m'en suis rendu compte en recensant le nombre de messageries vocales avec lesquelles j'ai sympathisé au fil du temps.

A quoi ressemble notre âme téléphonique en 2013 ? Le premier standard, c'est que la chose que nous appelons désormais un smartphone sert de moins en moins à téléphoner. L'un de mes premiers posts concernait la transe débilo-hystérique dans laquelle nous plonge cette prothèse omnipotente. Visiblement je ne suis pas le seul à le penser. Mais comme je suis un garçon assez vocal, je vais aujourd'hui développer cette seule fréquence.

Tout d'abord, c'est un fait établi et documenté, les gens écoutent de moins en moins les messages qu'on leur laisse. Manque de temps, zapping, et voilà, on se borne à constater les appels manqués, la phrase amie molette consistant à dire "j'ai vu que tu m'avais appelé". Jacques le fataliste devait avoir un abonnement chez Orange... Fort de cet aquoibonisme, un principe s'est infiltré sournoisement dans nos vies : celui du "je te rappelle pas donc c'est non". Ainsi, plutôt que de boucler la boucle, d'accuser réception, de répondre quelle que soit la réponse, l'usage du code [default_value=silence] s'est généralisé dans notre logiciel de vie. Hey buddy, c'est ça le respect ? Ça t'écorcherait les doigts de m'envoyer un pauvre sms pour me dire que tu n'as pas oublié ? En plus tu es couvert, le sms s'est imposé comme le meilleur ami des mauvaises nouvelles. Drôle de dégénérescence qu'apporte le progrès. Derrière l'illusion de la communication se cache le paravent de la résignation, pour ne pas dire de la lâcheté. Lorsque je suis arrivé sur le marché du travail en 1993, c'était - déjà - la crise. Chaque CV envoyé recevait une réponse. Négative, certes, mais une réponse quand même. Idem avec les messages laissés sur ces répondeurs à bandes. Aujourd'hui il faut raisonner façon prise d'otage : si on n'a pas de nouvelles sous 24 heures, c'est que c'est mort.

La dimension culturelle de l'histoire est édifiante. Est-ce par excès de sollicitation ou par réflexe de petit roi, est-ce par paresse, mais en France, un supérieur social ne s'abaisse pas à rappeler un inférieur social. Ça m'a toujours stupéfié. Aux Stazunis, comme en Allemagne, en Italie ou en Afrique su Sud, on peut appeler n'importe quel cadre d'une organisation, jusqu'au plus haut niveau, il prend l'appel. Il faut faire vite et efficace, c'est normal, mais il vous écoute. Chez nous, le moindre sous-fifre ne s'abaisse pas à répondre dès lors que sa carte de visite comporte le mot "directeur", comme si le statut portait en lui l'évidence de l'injoignablitude. Vous avez raison les gars, continuez, vous avez vu où ça nous mène.

Enfin, la démultiplication des moyens révèle l'autisme de certaines personnes rétives à l'utilisation de leur téléphone. Par exemple, mon ami X. ne me répond jamais quand je l'appelle, c'est vous dire si je suis son ami. Avec l'explosion des (télé)communications, ces personnes sont davantage exposées qu'à l'époque où les téléphones gris étaient aussi répandus dans les foyers que les commentaires intelligents chez les journalistes sportifs. Par un enchaînement logique action-réaction, elles ont développé des anticorps et se rétractent dans leur coquille avant que le deuxième appel n'ait pu couper le poil qu'elles ont sur la langue. M'enfin ?

Je vous l'accorde comme ma guitare, on est tous excessivement aspirés par le vortex des contingences quotidiennes. Le trop tue tout, au galop, trop d'ânes tuent le trot. Trop d'impôt tue l'impôt, trop de pub tue la pub, trop de Fanfan tue la lipe. Et trop de communication tue la communication. La période actuelle illustre ce principe universel riche d'enseignements sur notre déshumanisation. La tranquillité est un luxe au point que l'on cherche à la créer soi-même, souvent de façon brutale ou disproportionnée. Pis, l'actualité nous y encourage car on est en droit de se dire que le seul moyen de ne pas être écouté, c'est de la boucler ! Alors de grâce, pour que j'écrive un prochain post, laissez-moi un message après le bip.

5 commentaires:

  1. Continue Alex, on est tous bien silencieux, mais c'est parce qu'on t'écoute! Et tu as raison, trop d'ignorance tue pas que shakur.

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  2. C'est épatant de justesse !

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  3. Ouf! je me sens moins seul. Je vais finir par vomir une bile trop longtemps contenue, dans un bus ou une salle d'attente, à force de voir tous ces zombies clavioter manipuler torturer masturber leurs nouveaux appendices. C'est fou: à certaines heures, le soir tard, par exemple, des métros ("remplis de noyés" comme le chantait Brel dans "Voir un ami pleurer" je crois) donnent à voir une image assez tragique: nez et yeux collés sur les écrans, bouchons d'oreille des ipods bien coincés dans les orifices, ces ectoplasmes ne broncheraient même pas si les néons s'éteignaient. L'autre jour, colère : un père franchit un des portillons d'accès à la station, l'un de ses gosses (7 ans à tout casser) pas assez rapide, se coince les deux mains dans les deux portes qui se sont ouvertes et refermées trop vite. Hurlements légitimes du gamin (j'ai pensé au petit lapin rose erratépiste) et, devinez quoi, que faisait donc son géniteur derrière lui tout en franchissant les portes? il consultait son aïe-phone, pardi! la mère était un peu loin en arrière, qu'accompagnait un autre bambin, moi j'étais juste entre eux deux; la mère: "mais? que s'est-il passé?" interrogeant son mari. "j'en sais rien" répondit le père qui venait, honteux, de rempocher son appendice vite fait, hop, dans la poche de son fut. Et il se mit, plutot qu'à consoler son môme le visage déformé par la douleur et les larmes, à l'engueuler copieusement. J'ai failli m'en mêler mais me suis contenté de murmurer "salaud". C'est anecdotique, sans doute, mais un bel exemple de ce que ces connes de machines à deux balles et bien conçues pour diviser les gens plutôt qu'à les relier, sournoisement nous conduisent à être des lâches et des égoïstes patentés. Merci pour votre blog et merci d'exister en tout cas: je vous lirai plus souvent je viens de découvrir votre journal de bord.

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  4. Bien joué ! Bien écrit ça c'est sur ! Félicitations mon pote

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  5. Bonjour,
    Je ne savais pas où poser mon commentaire: je viens de trouver.
    Pas possible de dire, à chaque article, que c'est excellent, ça finit par devenir rengaine et peu original.
    Ici, c'est pile poil l'endroit pour vous dire de continuer vos exagérations!
    @ vous lire.
    BelleIsa.

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