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mercredi 7 novembre 2012

2% de chignon

Le fauteuil est gris mais on distingue de moins en moins la différence entre la coloration d'origine et la crasse accumulée. Il est ramolli, râpé, usé, craquelé, et déchiré à plusieurs endroits. Il y en a beaucoup d'autres tout autour, dans un état comparable, dignes du style Ceausescu des années 1970. Ce sont les fauteuils du lounge Air France à Roissy-Charles de Gaulle Terminal 2. Leur état représente assez bien l'état d'esprit de la compagnie à l'égard de ses passagers. Et si Air France fanfaronne avec ses nouveaux salons ici et , la simple existence de cette usure plus ou moins rafraîchie est révélatrice.

A vrai dire, le protocole compte autant que la peau de vache. On vous accueille avec un air pincé, avec un cérémonial qui vous laisse croire pendant une demi-seconde que vous êtes le pouilleux qui veut pénétrer dans un palace, jusqu'à ce que vous sortiez votre sésame en forme de carte Gold. "Très bien monsieur, allez-y". Vous entrez alors dans cette salle d'attente fade qui n'a de lounge que le nom et en guise de menu vous avez droit à quelques snacks rances et cheapissimes. A regarder l'empressement, voire la grossièreté, avec laquelle le client moyen se rue sur la presse parce qu'elle est gratuite, on peut comprendre l'attitude des cerbères, pendant une demi-seconde également. Merveilleuse quintessence de l'illusionnisme marketing que cette paroi vitrée et ce guichet qui nous flattent l'ego en nous séparant de la plèbe. En termes techniques, c'est une déclinaison de l'effet Veblen.

Comme tout ce qui est à forte empreinte franco-latine tendance George Valentin, la compagnie se regarde le nombril, persuadée qu'il est de bon ton d'afficher une posture hautaine pour justifier d'être membre de Sky-frime. J'ai fait partie de la horde des abonnés, jusqu'au jour où j'ai ouvert le hublot, où je me suis aperçu que les miles accumulés sont une vaste supercherie. Certes, à l'origine le système avait ses avantages, et l'on pouvait voyager presque gratuitement de temps en temps. Et puis la machine a gonflé, les miles ont muté. Face à la demande, Air France a inventé les miles de riches et les miles de pauvres. Et cette invention messieurs dames, c'est la plus importante évolution de la vaseline depuis sa création qui date, c'est drôle, de la même année que celle du mot avion. Les miles de pauvres, comment dire... Ce sont des miles qui vous servent à dire que vous avez des miles, et pi c'est tout. Inutilisables sauf sur un vol Paris-Grozny le jeudi à 4h du matin, ce sont les miles figurants sur votre compte, et je mets bien un 's' à figurants car il s'agit de l'adjectif. De la figuration, quoi. Le modèle s'est auto-détruit le jour où on a affecté aux miles une valeur marchande, d'abord officieuse puis tout à fait officielle (exemple : 12000 miles coûtent 312€ sur le site Air France).

Aujourd'hui, à quoi servent les miles, vraiment ? A avoir des "avantages" (avec des guillemets pas du tout figurants) si ridicules qu'ils relèvent d'une indigence commerciale savamment calculée. En écrivant ce billet j'ai fait un test simple : réserver un aller-retour Paris-Seattle avec et sans miles. Résultat ? 50.000 miles consommés, pas le choix sur la date, ni sur la classe, et au final 50% d'écart de tarif alors que le concept eut voulu que je paie 10% du billet. Le prix à payer en supplément provient des taxes d'aéroport et autre inflation kérosénique. Certes, le système de miles n'est pas un open bar, mais on atteint aujourd'hui un niveau de restriction d'usage sans précédent. Je sais, ce n'est pas votre faute, Monsieur Air France, hein, vous n'y pouvez rien. Pas plus que vous ne pouvez faire des efforts pour savoir ce qu'est la notion de service. La théorie c'est beau, la réalité est à peu près aussi souriante que l'une de vos rombières (composition d'une hôtesse Air France : 70% d'aigreur, 28% de morceaux divers et 2% de chignon). Au même titre qu'un opérateur télécom ou internet, Air France a énarquisé la notion de client. A croire que les lignes ne bougeront que lorsque Free se lancera dans le transport aérien.

Le plus drôle, c'est qu'il y a encore un paquet de gens qui rentrent dans le jeu et qui se la racontent pour des histoires de miles. Je vous passe les discussions passionnantes lors de dîners parisiens, qui feront l'objet d'un prochain billet. Observez le bal des voyageurs et des tags de bagages cabine. On se mate l'air de rien, les regards se croisent, se toisent. Comme il est fiérot celui qui est Gold à l'égard de celui qui n'est que Silver, et qui a presque honte sans jamais l'avouer. On croirait un match entre winners et losers, comme ce que Verino raconte à propos de la queue à la FNAC (ici à partir de 5'27"). Quant au voyageur Platinum, lui ne regarde même plus alentour, il est au-dessus de tout ça puisque toujours en vol, il a atteint le Graal du plouquisme de comptoir Air France, il est l'artistocrate de la république jus de tomate-cacahuètes.

Une éloge de l'élitisme ? Ce serait un vrai paradoxe ou un sacré jeu de mots avec les statuts de frequent flyer Air France. Et encore faudrait-il que le terme ait un sens dans le cas d'espèce. "Privilège pour le plus grand nombre" est un oxymore air-français, rien de plus.

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