Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
Retrouvez-moi sur Facebook

lundi 29 octobre 2012

Eloge de l'égoïsme

J'aime mon sushi bar. Depuis 14 ans, j'y vais au moins une fois par semaine. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, j'ai besoin de ma dose de poisson cru servie sur sa plaque de bois. J'ai fait parfois des prouesses, étant à 50 km de Paris, pour voir les guirlandes de toro, maguro, temaki, et autres unagi, défiler sur le comptoir. Enfourcher la moto à 12h, direction A13, arrivée à 12h30 à Paris centre, fini de manger à 12h50, retour sur site à 13h30.

Il n'est pas glamour pour un sou mon sushi, il ressemble à n'importe quel autre et bien entendu, c'est un vrai japonais, et pas un de ces faussaires qui vous servent des bouts de plastique rouges et blancs en guise de hors d'oeuvre. Deux mobiles branlants au plafond, des cadres penchés et une horloge ringardissime au-dessus de la caisse. Mais bon sang ce que c'est bon ! Entre le sushiya, le maître-sushi, et moi, c'est une longue histoire. Cela fait longtemps que nous n'avons plus besoin de parler. De toute façon il n'a jamais été bavard. Il me regarde à peine, mais il sait que je suis là, et d'un coup je vois arriver devant moi une ribambelle de petits plats aussi délicieux les uns que les autres. Mes voisins de bar se demandent souvent ce que j'ai commandé, médusés de voir le traitement VIP auquel j'ai droit sans jamais avoir rien demandé.

Je sens que je vous mets l'eau à la bouche... Mais dois-je vous donner l'adresse ? Et ainsi, participer au buzz (voir le billet précédent au sujet de ce terme) ? Faut-il partager coûte que coûte un "bon plan" ? Cette alternative est devenue une norme, non, pardon, un vrai business, voire même un diktat. Ne pas partager, c'est s'auto-ostraciser. Les guides, sites webs et autres blogs façon boufforama ont poussé comme des ceps d'octobre pour faire de chaque membre de la "communauté" un happy few. Un happy mon cul, oui ! Ne comptez pas sur moi pour vous dire où il est. Voici la démonstration des effets néfastes du partage systématique et irréfléchi :

Si je donne l'adresse de mon sushi bar, je déclenche une avalanche, plus ou moins forte, à plus ou moins court ou long terme. Je participe à sa réputation, et la boule de neige envoyée du haut du Mont Facebook provoquera tôt ou tôt, et de toute façon bien trop tôt, une affluence inhabituelle pour un endroit paisible. C'est le début des ennuis. Un restaurateur artisan ne sait pas forcément gérer ces situations. Il ne se lève pas chaque matin avec l'ambition de monter un business, tout le monde n'est pas Alain Ducasse. Débordé, il peut devenir tendu, ou bien être amené à refuser du monde. Dans les deux cas, tout le monde est perdant.

Admettons qu'il réponde à la demande croissante en s'adaptant. Alors c'est le début de la fin. Il sera tenté, mécaniquement et inéluctablement, de revoir sa salle, ses prix, ses plats. A horizon 5 ans, l'endroit charmant fréquenté par des habitués sera devenu un de ces lounges machin-chose où l'on vient consommer de l'ennui et brouter un oursin à 30€ dans une lumière tamisée, à croire que les tarifs sont inversement proportionnels à la luminosité. Ou pis, un endroit déguisé en endroit sympa, savamment cradifié pour faire vrai, et qui vous sert du sous-vide dans l'assiette en soulageant le trop-plein de votre portefeuille. Les chantres du food business essaient de nous convaincre que "c'est ce que les gens veulent". Vraiment, c'est ce que nous voulons ?

Je ne suis pas égoïste, vraiment pas. Mon seul souci, c'est de préserver l'authenticité de l'endroit, de la cuisine, des gens, de l'ambiance, de l'odeur. Mon sushi bar, je l'ai trouvé par hasard. J'ai fait cet effort. Autre époque, c'est vrai. Mais aujourd'hui cela reste possible, c'est même un acte de résistance envers les réseaux sociaux dictateurs qui nous injectent dans le cerveau à l'insu de notre plein gré cette envie irrépressible, presque hystérique, de tout partager tout le temps. Mais la vie n'est pas qu'un bouton like !

Nous y sommes de vrais happy fews. Quelques habitués dont les allées et venues se sont forgées au fil des années, et pas en trois clics et demi. Nous nous reconnaissons, pas besoin de parler beaucoup. Le chef est là, on envoie la commande d'un simple geste. Un répit, un instant de plaisir, un petit bonheur dans un monde de crispation. Et ça, ça n'a pas de prix.

Demain, je ne vous parlerai pas de mon restaurant vietnamien.

2 commentaires:

  1. Si, en plus, c'est pour s'entendre dire:
    "ouais c'est pas mal mais bon j'ai connu mieux"...

    Car il est comme ça le blasé. Et il se reproduit à la même vitesse que l'information se répand. Une nouvelle espèce d'insatisfaits permanenconnectés qui ont la connaissance universelle et la reflexion atrophiée.
    Le blasé a élevé le TROP au rang d'arme de destruction massive de petit bonheur, de joie simple, d'étonnement naïf.

    M'enfin bon je m'emballe, et puis de toute façon, je m'en fous, moi je sais où il est ce japonais ;)

    RépondreSupprimer
  2. Je note juste que MOI je ne suis pas une happy few... non laisse spa grave je vais mettre fin à mes jours avec un sushi usagé...

    RépondreSupprimer