Bienvenue sur Alexagère

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Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
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mercredi 22 janvier 2014

Bienvenue chez les tchis

Les déplacements, c'est bien. C'est l'occasion de quitter la grisaille et la désespérante platitude quotidienne des collègues gémissants pour visiter le monde, ou bien la chambre de commerce de Guéret, pour les moins chanceux. Dans tous les cas, c'est un enchaînement de protocoles dont vos colocs de bureau apprécieront la narration, car ils prendront le récit de vos journées interminables dans une blafarde salle de réunion new-yorkaise pour une épopée sur la route 66. Tout est dans le story-telling. Mais ne crachons pas dans la soupe, les déplacements j'adore ça, cette semaine j'ai pu m'évader pour le cœur ensoleillé de la cité phocéenne. La confirmation tardive d'un client pour un rendez-vous arriva pendant mon trajet aller, changeant le plan initial et m'obligeant à rester stationné surplace pour la nuit au lieu de rentrer le soir. Qu'à cela ne tienne, un Monoprix plus tard me voilà équipé, comme il se doit, du kit de survie en milieu hostile. Je peux me rouler dans la boue pendant des heures, mais ce sera toujours avec un slip propre. Slip donc, brosse à dents, et surtout chargeur d'iPhone, concrétisant trente années de progrès technologique pour réinventer le téléphone avec fil... Double retors, car sans appli il n'est plus de salut, icône Novotel, process réglé en moins d'une minute, la smart-life nous réserve plus de chambres d'hôtels que de surprises, pour un peu on se prendrait tous pour des maîtres du monde alors qu'elle nous rend de plus en plus esclaves.

Le soir venu, je pars en bon aventurier extra-périphérique explorer les alentours. Canebière, me voilà ! J'aime Marseille. Entre exagérateurs on se comprend. Et puis c'est en visitant cette ville que j'ai découvert tant de choses, notamment l'Afrique du Nord, le premier qui me dit que je suis raciste, je lui mets la tête dans une brique à La Joliette. La Joliette justement, où je m'engouffre dans le tram direction Belsunce. Nine Inch Nails gicle de mes écouteurs, mais je suis plongé malgré moi dans la conversation de la jeune femme assise en face. Car chez ces gens-là monsieur, on ne parle pas monsieur, on ne parle pas, on gueule. C'est un fait établi, une marque de  fabrique et une fierté locale, elle s'exprime avec cette voix rauque qui ferait passer Joey Starr pour un garçonnet pré-pubère, et avec cet accent dégénéré à côté duquel un ch'ti trisomique passerait pour Bernard Pivot.  "- ALLO ? Mais tchi m'avais dji qu'tu passerais aujôrdji ! Vasji, bâtard, va ! Tchi peux repasser mardji ou mercredji ?". Encore, elle aurait l'accent pétasse, comme toute bonne parisienne, je ne dirais pas, mais là, peuchère !

Quatre stations et une souffrance auditive plus loin, je suis tellement dépaysé que j'ai l'impression d'avoir fait deux heures de vol. Car Marseille, disons-le tout de go, c'est des paysans. Il suffit de voir comment les gens vous observent quand vous êtes sur la Canebière, pour ressentir le malaise du crocodile qui est rentré dans une maroquinerie. Comment dire, la faune locale instille une ambiance où il vaut mieux avoir la Rolex discrète. Tous ces géants d'un mètre quatre-vingt dix, en survêtement-casquette, qui me regardent de travers alors que merde quoi, je me faufile avec mon petit costume et mon trench, ça me rappelle l'histoire de la grenouille à grande bouche (du Rhône). J'ai pas mal bourlingué, j'ai traversé Kiev de nuit bourré comme un ukrainien, je me suis baladé le soir dans Alger, sans jamais ressentir de stress. Mais là, bon ben, je vais pas trop traîner en fait. Je glisse à pas feutrés, dans une espèce de moonwalk, c'est à peine si l'on aperçoit le "itulreb" sous mes semelles, vraiment pas de quoi fouetter un consultant. Quoique.

Ne pas traîner, ne pas se faire égorger, juste manger. Enfilade de petites rues, hésitations. Ce soir j'ai décidé d'être unplugged, de la jouer acoustique, sans antisèche électronique, c'est so 2006 ! Aaaah, le vieux port, ses ruelles avec leurs alignements de fausses brasseries qui tendent les bras aux gogos de passage pour leur servir du gras déguisé en aïoli et de vraies bouillabaises... Je vais pas faire le difficile, je suis seul, j'ai faim, autant dire je ne suis pas en position de la ramener. Une petite table entre un groupe de russes et un couple hollandais, ça ira bien. Et ça fait des grands schloups, et ça fait des grands schloups... Et je pense à demain, quand je longerai la corniche, la simple vue de la Pointe Rouge me remplira de joie. Je kiffe If ! Oups, j'ai fini les croûtons. Au moins me voilà réchauffé, prêt à roter toute la soirée. Blurp.


Le lendemain matin, c'est le protocole du cadre en déplacement. Ça commence dès le réveil, quand on entend la douche du voisin se déclencher en même temps que la nôtre, et l'on se dit "meeeeeeerde, j'espère que j'aurai de l'eau chaude". Tels des veaux grégaires, nous descendons tous ensemble au petit-déjeuner via l'ascenseur omnibus qui ramasse les visages endormis de commerciaux usés diffusant les effluves de leur mauvais after-shave, goût chèvre. Dans cette cellule c'est l'ultra-moderne solitude, un mortel casting de commis voyageur qui aurait inspiré Miller. Prendre son plateau, ramasser trois viennoiseries au cholestérol(ex), trouver et s'installer à une table qui n'a pas eu le temps d'être nettoyée. Un peu de piétinement autour de la machine à café, drogue tellement sacrée qu'elle énerve les gens même à l'extérieur de la tasse. Mâcher mollement en essayant de ne pas écouter les conversations des groupes voisins qui distillent bruyamment leurs histoires de bureau et leurs blagues qui ne font croustiller que leurs Corn Flakes. Refaire la queue pour le check-out, je vous agrafe le reçu ? oui merci, au revoir madame. Il est huit heures, Marseille bouchonne, mais ça sera toujours plus sympa que Paris. Qu'est-ce que je pourrais inventer pour rater mon train ?

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