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mercredi 25 septembre 2013

Mémoire de Reine

Il est des personnes qui, au détour d’un couloir, d’une phrase de rien du tout, vous redonnent foi en l’espèce humaine et renvoient au bestiaire tous les R'as-al-Ghul à poils longs qui veulent nous persuader que tout ira mieux après un bon génocide.

J’ai vécu la semaine dernière une expérience aussi touchante qu’édifiante. C’était le lendemain de la soirée des anciens de l’entreprise où je travaille. C’est marrant les soirées d’anciens. On alumnise, on vient observer l’adultitude qui se dépose sur nos rides respectives parfois respectées. On discute en penchant maladroitement la tête pour lire le badge d’Untel que l’on connaît mais dont on a oublié jusqu’aux données de base. Il y a ceux qui viennent et il y a ceux qui comptent. Ceux-là, naturellement, vous ne les verrez pas, c’est nous qu’on va les chercher pour les appeler cher ami et leur dire oui oui tout à fait on est en phase je te fais une propale ce soir pas de souci je comprends que tu sois obligé de faire un appel d’offres. C’est le festival des phrases creuses et des mots en –ing : networking, speed dating, zapping. Un bal de papillonnages et d’évitements courtois envers ceux qui grenouillent et cherchent un job, hop, trois petits fours et puis s’en vont. Ce millésime était pour moi spécial, car étant récemment revenu dans cette entreprise où j’ai commencé ma carrière, j’avais le statut appréciable d’ancien ancien. Un ancien carré en quelque sorte, mais sans la cote d’un mètre carré dans l’ancien.

Le lendemain de cette soirée aux figures plus imposées qu’imposantes, je déambulais entre deux bâtiments avec cet air occupé des gens réfugiés dans leurs pensées pour éviter de dire bonjour. Je dépasse une silhouette féminine, frêle et fumante, les volutes du café qu’elle tient à la main semblant s’échapper de ses cheveux. Alors que je la contourne, j’entends « Tiens, [mon prénom mon nom] ! Comment vas-tu ? Alors tu es revenu ?! ». Pétrification instantanée. Un éclair de honte me foudroie. Une fois retourné je suis retourné. Reconnaître quelqu’un au bout de vingt ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Dans son cas, c’est spectaculaire. Elle est standardiste. Elle connaît tous les numéros de postes par cœur, des milliers. Lorsque, moussaillon, j’embarquai sur ce navire, nous étions deux mille, et par un prompt renfort du destin et de quelques acquisitions bien ficelées nous voici sept mille en arrivant au port de la croissance. Certes, à l’époque, le plateau de mon équipe jouxtait le standard, et l’on se croisait. Mais tout de même, combien de pompons de pimpins a-t-elle vu défiler ? Moi, simple moucheron sur le pare-brise du temps qui passe, elle m’a reconnu. Mes yeux ont eu besoin d’essuie-glaces.

Bien avant notre époque d’iMaturité, où parler à un être humain quand on contacte une entreprise est devenu un luxe, le standard était quasiment la seule interface vivante entre une organisation et le monde extérieur. Une vitrine de l’entreprise, disait-on. Force est de constater que la sienne a résisté au tsunami de serveurs vocaux. Elle pilote son cockpit d’une rafale de doigts sur le clavier, et vous passe n’importe quel poste en moins de quatre secondes (véridique). Elle a gagné la réputation d’avoir le meilleur standard à mille kilomètres à la ronde. Elle s’appelle Reine, je ne résiste pas à la facilité d’écrire qu’elle fait honneur à son prénom, et même qu’elle a la classe royale. Pour appeler Paris, passez par Reine, de grâce n’appuyez pas sur dièse, elle mérite quelques lignes.

dimanche 8 septembre 2013

Six semaines sous un rocher

Ce n'est pas la star des créatures dites intelligentes, dont je suis de plus en plus tenté d'exclure les hommes, mais un animal que j'ai longtemps apprécié autour d'un barbecue. Deux yeux, 3 cœurs, 8 tentacules, 9 cerveaux et pas de squelette. Je suis, je suis... Le poulpe ! De vieilles traditions imbéciles persistent à le rendre tantôt synonyme de terreur, relégué au même rôle que le charcharodon qui pourtant ne mange qu'un surfeur par mois, tantôt icône de la mafia. Sans oublier Paul le poulpe et Jules Verne, qui ont fini de le ridiculiser et d'agrandir le trou dans le déficit de son image.

Je vous accorde qu'il n'incite pas au baiser. Et pourtant ! S'il y a des hommes-grenouilles dans la salle ils savent à quel point le monde hyperbare est porteur de grâce. L'observation régulière de ce céphalopode au cours de plusieurs plongées, puis la vision d'un superbe documentaire dans Thalassa, m'ont ému et ont alimenté cette boucle infinie qu'est le questionnement sur la définition de l'intelligence. J'avais envie de le partager ici.

Le film nous apprend que les poulpes ne se reproduisent qu'une fois dans leur vie, et que la mère se sacrifie pour protéger et ventiler sa progéniture pendant les six semaines d'incubation. Elles attend que les bébés sortent de leur œuf pour se laisser mourir. Le petit poulpe aussi naissant qu'orphelin repart donc à zéro, n'ayant aucun parent pour lui transmettre les bases de la vie et lui expliquer qu'un mérou plus gros que lui, ça fait mal. Tout au long de son existence, il utilise donc son potentiel cognitif comparable à celui de l'être humain pour apprendre. Et il y parvient haut la main si l'on en croit les résultats des nombreuses expériences scientifiques sur le sujet. Le sort de la maman poulpe est une belle leçon d'abnégation, de don de soi pour la survie de l'espèce. Une belle leçon que nous nous garderons d'amener sur le terrain de la morale, mais elle en dit long sur notre capacité à gaspiller.

Nous avons la chance d'hériter du savoir des générations précédentes. Nous avons atteint un degré de sophistication technologique qui nous pousse à nous regarder le nombril numérique, à nous gargariser d'avoir inventé le big data et sa cohorte de péta-octets. Et pourtant, de génocide en génocide, l'homme ne sait plus quoi inventer pour accélérer l'extinction de la sienne, d'espèce : bombe H, Mediator, G20, Big Mac. Pour un euro de plus, je vous offre une GoPro pour tout filmer. Ne soyons pas naïfs, les canons de la géopolitique sont fumants d'amnésie lorsqu'il s'agit de monopoliser les ressources rares de la planète. Et puis, épuisés, les vieux schnocks qui possèdent les fonds d'investissement qui possèdent les multinationales qui possèdent vous et moi sont beaucoup plus préoccupés par la panne de leur voiturette de golf - déambulateur le plus en vogue à Miami, où il y a également beaucoup de poulpes dans les marinas - que de transmettre le savoir aux générations suivantes.

Entre un animal aussi pacifique qu'atlantique, qui ne peut capitaliser sur sa mémoire transgénérationnelle, et un animal d'orgueil qui a tous les moyens de retenir les leçons du passé mais qui balance le devoir de mémoire dans les charniers débordants de cadavres, j'hésite. Comment les départager ? Voyons, si l'octopus est victime du bug d'héritage qui fait de lui une sorte de Sisyphe des mers, il a gagné le pouvoir de mimétisme. Je n'ai pas encore croisé un poulpe qui en déteste un autre parce qu'il est noir, jaune, rouge, qu'il a le tentacule circoncis ou qu'il a traversé la mer Méditerranée. Alors, je vote poulpe, j'aurai moins de coulpe.

Il n'y a qu'une chose qui m'ennuie avec le poulpe. C'est que c'est quand même vachement bon en salade, avec un verre de retsina.

samedi 22 juin 2013

La compagnie de la mouette bleue

La mémoire est un phénomène extraordinaire. On parle souvent de ses trous, moins de ses détours. Or parfois elle nous en joue, des tours. Comme pour faire de nous d'improbables Sisyphe eidétiques, elle décide de nous accrocher un boulet que nous pousserons sur nos montagnes de souvenirs. Le cariste de notre cerveau-IKEA nous en ramène quelques-uns en kits, avec la dévotion du labrador convaincu que nous voulons passer le reste de notre vie à relancer ces putains de bouts de bois. Comme une écharde dans le synapse, chacun fait l'effet d'un aliment coincé entre deux dents. On fait mine de s'habituer, ça devient un tic, on passe la langue pour tenter de le déloger, tantôt par surprise, tantôt en force. Sauf que les souvenirs partiels, ça ne se traite pas avec du fil dentaire.

C'est le genre de sujet que vous ne pouvez partager avec personne. On doit être tout au plus deux dans le monde à s'interroger sur ce lambeau d'image, de musique, de texture ou d'odeur, autant dire l'inintérêt qu'elle a dans une discussion en société. C'est à peu près aussi captivant que de parler de son nin-nin. Si toutefois vous l'évoquez, vous risquez de passer pour le Gilbert Sellman de service lorsqu'il clame "ça tombe bien, mon frère est gendarme !". Vous voilà prévenus. Assurez donc vos arrières et avouez plutôt que vous regardez Secret Story, il y aura toujours quelqu'un qui trouvera ça amusant.

Vous êtes donc seul(e) ou presque. Dans un moment de mansuétude, Mnémosyne eut pitié de vous et introduit un ami dans votre cellule neuronale. Google fait ce qu'il peut, mais depuis tant de temps la question est trop large, elle renvoie trop de résultats. Générique de série télévisée, années 1970, Visiteurs du mercredi... Non, ce n'était ni Les Robinsons suisses ni Skippy le grand gourou. Trop évident tout ça. Parmi les rares indices il y avait bien ce mot étrange, "tokismo", capté dans un flot de paroles. La clé de l'énigme, peut-être ? Qu'est-ce que ça pouvait vouloir dire ? Inconnu au bataillon des mots-clés. Ce n'était pas du français, c'est certain. De l'anglais ? A 6 ans, je n'en savais rien. J'avalais les syllabes phonétiquement, comme celles de Travolta dans Grease : "Agatiou, zébo ze blayeur..." version auto-interprétée de "I got chills, they're multiplying..." (au passage il est intéressant de noter comment la ligne de basse de ce morceau a inspiré celle du générique des Bronzés font du ski, dont peu de gens savent qu'elle fût composée par Pierre Bachelet, je tiens à cette parenthèse hautement culturelle et parfaitement hors-sujet). Ça fait léger pour identifier une séquence.

Avec comme dernier recours un bout de mélodie en tête, c'est un échantillon, pas une requête. J'avoue, j'ai même fredonné l'extrait dans SoundHound. Réponse de l'application : "Alex, on peut se parler franchement... Tu vois, si tu voulais passer le casting de The Voice, comment dire... Tu sais, c'est bien comme métier aussi, consultant...". Las ! Que n'ai-je introduit un éditeur SQL dans ma cervelle !

Il restait les forums, drôles de manèges qui tournent en rond. Vous êtes suspendu au souvenir d'un autre, comme sur un trapèze. Et puis un jour, un esprit béni poste un commentaire fourni, contenant la liste exhaustive de toutes les séries pour la jeunesse diffusées dans les années 1970. Quelques clics, croisement d'informations... Allelujah !! Voilà, vous y êtes, c'est le générique d'une série yougoslave - à l'époque, l'ex-Yougoslavie n'existait pas encore - une bande de mômes sur un caïque, non ce n'était pas le radeau de la méduse ce bateau, et encore moins l'école en voilier. Cette mélodie, ce chant qui sonne patriotique, le mot-clé... And the winner is : La compagnie de la mouette bleue ! Enchanté, moi c'est Alex. Franchement, ça vous dit quelque chose ? Peu importe, à cet instant un grand soulagement m'envahit, à la fois profond et absurde. Après 35 ans de poil à gratter mental, je rends à ces arts ce qui appartient à la tierce mémoire, ce soir je dormirai du sommeil lourd de celui qui a l'esprit léger.

PS : par une authentique ironie du sort, une mauvaise manipulation m'a fait effacer ce texte au moment de le mettre en ligne. Je l'ai réécrit intégralement de mémoire, mais vous n'êtes pas obligés de me croire ! :o)