Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
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mercredi 1 avril 2015

A poil

A toi qui m'as précédé aujourd'hui dans la douche des vestiaires, je voudrais rendre ce vibrant hommage. Je tiens à préciser en introduction que j'ai fait l'armée, et que je ne suis pas bégueule, ni maniaque, enfin, pas plus que Desproges. Mais voilà qu'un certain atavisme médical et un goût prononcé pour l'hygiène ont repris le dessus et me poussent à répondre avec ma plume à ton abandon de pelage.

Tout avait bien commencé. Nous rentrions de notre petit trot méridien, les uns et les autres papotaient en grappes sur le banc. Comme il y avait du monde, chacun attendait son tour pour l'atelier lavage. Le mien arriva enfin et je me dirigeai vers le jet tant attendu, tout nu dans ma serviette, qui me servait de pagne, j'avais le rouge au front et le savon à la main, quand vint une vision, mais pas dans l'eau de Seltz...

D'abord, j'ai cru à une blague. Après tout, on est le 1er avril et il y a une bonne bande de potaches dans ces quelques mètres carrés. En découvrant la forêt de poils qui jonchait le receveur, j'ai pensé que tu avais couru avec ton ours. Pourquoi pas, c'est un excellent moyen de faire des fractionnés s'il n'a pas mangé depuis trois jours. Mais non, l'ours est dans sa cage et les chattes sont de l'autre côté du mur (oui, je suis un potache comme les autres). Les hypothèses fusèrent. Peut-être t'es tu roulé dans quelque substance irritante, peut-être as-tu confondu le tube de Veet de ton épouse avec ton flacon de Mennen-qui-pue ? Peut-être as-tu mué, tel le bison au printemps ? Ton slip t'a-t-il tant irrité que ce fût l'hécatombe dans le bush tout le long de ton SIF(*) ? Bah, à quoi bon réfléchir ?

Moi qui ne supporte pas de voir l'un de mes poils se promener en liberté, imagines-tu mon désarroi lorsque je pénétrai la cabine ? La vision de ce tapis de moumoute fraîchement tombée me fit vaciller. Que faire ? Filmer, pour prouver que la réalité dépasse Alexagère ? Las ! Mon smartphone n'étant étanche qu'aux appels chiants, il dormait tranquillement dans mon bureau. Poser le pied dessus ? Le poil mouillé est un lubrifiant bien connu, et à peine rentré de ma course, je n'avais pas envie de me casser la golèche. Et puis moi, les champignons, c'est dans les omelettes que je les aime. Ressortir et t'appeler eût été tentant, mais tu serais capable de dire que ce sont les miens ou ceux d'un autre, et il n'y aurait plus qu'à faire un constat ou appeler les Experts-Neuilly-sur-Seine pour une comparaison scientifique du nombre de vrilles. Je finis par prendre mon courage et le pommeau de douche à deux mains, et fis ce petit geste simple que tu avais malencontreusement zappé. Un siphon, font, font, trois petits poils de quéquette, et je bénis cette bonde qui avala sans sourciller le tourbillon de vilains vermicelles.

Une chose est sûre : au Salon du Poil, tu as le plus beau stand et ton oubli est entré au Panthéon des velus sales de bain. Et dire que nous sommes collègues ! Et dire que notre grand Cabinet vend de l'excellence ! Heureusement qu'il ne vend pas du carrelage. C'est donc en toute logique que j'invoquerai Malraux pour te donner mon conseil : va chez Leclerc et achète de l'acide, avec son cortège d'émanations dans le sous-sol qui pique, entre ici gros malin, avec ton terrible cortège...

(*) SIF : Sillon Inter-Fessier

vendredi 23 janvier 2015

After 8, before midnight

Invité à l'insu de mon plein gré pour fêter le gain d'une affaire importante, je me suis retrouvé hier dans ce que l'on appelle un afterwork. Je déteste ce moment post-poste, ce pot entre potes-collègues qui ressassent jusqu'à l’écœurement leurs anecdotes de bureau ponctuées de rires gras baignant dans la bière et l'horizon borgne de cadres au dynamisme incertain. Je déteste, mais je ne peux m'y soustraire, on aurait vite fait de me dire "Alex, t'exagères !" et je n'ai pas les moyens de faire à mon patron le cadeau de me traiter d'asocial. En effet tout le power grid de l'équipe se transporte le temps d'une soirée, juste histoire de changer de décor, de rafraîchir l'eau dans l'aquarium des requins, il paraît que ça soude.

Le cadre est un poncif du genre, un pub qui représente une merveille de mécanique des fluides grâce à l'équilibre entre le flux de bière servi à l'entrée et le flot d'urine déversé à l'arrière vingt minutes plus tard (vous connaissez maintenant la différence entre la bière et le pipi). Il pleut des limonades et des Kilkenny tièdes, des mojitos glacés pour employés maussades, pour cadres aseptisés. Comble, l'endroit rassemble plusieurs pots d'équipes, ce qui nous donne l'étrange loisir d'être à la fois dans le cercle et hors du cercle, observateurs et observés, scrutés, toisés, on est à Paris quoi, merde. Selon l'angle adopté, l'on peaufine notre contradiction. Nous, on est classe et on discute, alors que les autres gueulent et se comportent comme des beaufs. Nous on est à fond, les autres ils tirent des tronches. Las ! Ils n'ont qu'un gramme d'avance. Comme une guirlande de fréquences basses et de rires stridents qui passe de table en table, une sorte d'ola sonore célèbre l'indigence managériale du quartier.

L'alcool, au fil des volutes, aide quelques langues à se délier, celles des coincés de la glotte, celles des lèche-culs, celles de ceux qui en bavent. Une fois passé le cap du gramme cinq, le boss désinhibé, qui n'est qu'un beauf à galons, inaugurera la séance des blagues racistes, c'est sa manière d'être cool. Elles commencent en général par "vous savez pourquoi les arabes...". Sous l'éclairage à leds se révèle sa laideur. Tout le monde se tordra de rire, la base de la base c'est de fayoter pour au moins survivre. Arrivés à deux grammes, on en sera à "ouais mais la confrérie des zizis coupés, ils le cherchent un peu, aussi". Le terrain est mûr pour se lancer dans un débat sur les attentats et leurs causes. Comptoir, tiens-toi bien et soutiens-moi fort ! Les commentaires, à la hauteur du zinc, sont vibrants d'incompétence géopolitique, je fuis Charlie.

Juste à côté, les timides bravent les lois de leur gravité. Le cœur à la dérive, ils se forcent à ne pas parler qu'à leurs amis Facebook. Parce que ce soir-là elle se sent un peu seule, parce que ce soir-là il a les pommes de terre au fond du sac et parce qu'ils ont travaillé sur le même projet, leurs vagues regards se croiseront entre deux renvois d'assiette charcuterie et ils iront prolonger cette illusion éthylisée dans une soirée baisouillette-sur-Ikea qu'ils prendront pour le début d'une histoire. Ou peut-être qu'il ne se passera rien, elle ne voit en lui qu'un bon copain, cet animal de compagnie dont les femmes raffolent quand elles veulent s'épancher sur les vertus d'un autre. Si c'est le cas, il mettra le cap sur les trois grammes en remplissant le ballast de vodka - Red Bull tout en replongeant immédiatement le nez dans son smartphone. Ironie du sort, la musique de fond est Ultra moderne solitude de Souchon. Manque plus qu'Highway to hell.

Dans la salle du fond, changement d'ambiance, on dirait un cours de zumba... Non ! C'est un pot de départ et la strip-teaseuse de circonstance tex-averise les garçons qui éructent des encouragements à l'effeuillage avec la classe d'un taxi parisien coincé porte de la Chapelle. Et l'on n'échappera pas à l'intro de Seven nation army en version beuglée façon école des ânes...

Vers 22 heures on commencera à sortir au son du faukjihaille, c'est l'heure où les bretelles soutiennent le présent des passants répandus et des alcoolisants. Tu vas par où, par là, ah, tu veux que je t'accompagne, nan mais je vais prendre un Vélib, ah ok. Charlie est déjà loin, la chape de plomb de la couille-mollitude ordinaire a recouvert les tombes des dix-sept victimes. C'était il y a quinze jours, c'était il y a un siècle, et les deux mille victimes de Boko Haram au Nigéria lors de la même semaine, on s'en fout.

mardi 30 septembre 2014

Golders Green

Il faut savoir reconnaître ses erreurs et rendre justice. Il y a un certain temps, j'ai écrit ici que les taxis parisiens sont des pourritures. Je m'étais trompé. Ce sont de GROSSES pourritures. Et en plus, ils sont contagieux : à force de desservir Roissy, ils ont lobotomisé les pilotes Air France.

J'ai eu la preuve de cette pandémie lors d'un récent déplacement à Londres. Londres, vous savez, la ville où la deuxième langue la plus parlée est l'anglais, juste après le français. Le New-York à deux heures de train pour parisien en mal de posture dînatoire, la solution idéale pour prendre son shot de branchouillade le temps d'un week-end, le seul endroit où courir les soldes ne fait pas plouc, la ville où des crevards moins assistés que leur direction nous donnent des leçons de business. En même temps c'est normal, ils roulent à gauche et conduisent à droite.

Nous étions six et, au retour d'une banlieue improbable où nous avions passé la journée dans un datacenter (datacenter : n.m. [anglais], endroit où sont abrités les racks de serveurs stockant les données de sites comme celui-ci, autrement dit vraie maison de vos amis Facebook et de nos commandes Amazon) nous cherchions un endroit où vider nos oreilles et remplir nos estomacs... Oui parce qu'une journée dans une salle machine digne de ce nom équivaut à dix heures non-stop de Hellfest avec la tête dans les baffles.

Déjeuner typique autour d'un datacenter anglais

Aussi affamés qu'assourdis, nous géolocalisâmes de la viande argentine à Golders Green. Moi, quand on me parle d'entrecôte, je dis graisse, mais Alain dit go. En route ! Jouant de bon cœur au vétéran avec mes padawans pas tous trentenaires, je leur parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. A cette époque il n'y avait pas d'Eurostar et rejoindre Albyon prenait des heures, voire des nuits. Je leur raconte Londres 1990, et ceci, et cela, et la fierté des cabbies de connaître toutes les rues de Londres par cœur. Ici on n'est pas à Paris, les mecs ! Oui mais là on est six, on est en 2014 et les cabbies c'est cinq pax max. Bon ben on va prendre un mini-van alors. Ça doit être le costume. Six pingouins à la sortie de Victoria, ça se voit venir.

To Golders Green, please. Et le vieux chauffeur à l'amabilité digne d'un garçon de café parisien démarre. Le bon côté, c'est qu'on a traversé Londres en long, en large et en travers. Mais au bout de 40 minutes et 230 gargouillements intestinaux, on commençait à trouver le temps long. Il nous a vus venir, je confirme. Six men in black avec leur sac à pc rivé au cubitus, ça sent le gogo, et quand le décor commence à se répéter comme dans une poursuite de Tex Avery, une étrange odeur de vaseline envahit l'habitacle.

Sur le compteur les yeux rivés, enfin l'arrivée, tout le monde descend. Je tends ma carte.
- Can i get a receipt please ?
- Sorry sir, it's not my cab, i can't use the card terminal.
Le doute s'immisce, la méfiance m'habite. Je tends mes deux twenties.
- Here you are. Can i get a receipt please ?
Et là, l'erreur fatale, la faute de débutant, je descends. Il s'est barré l'enculé ! J'ai beau courir vite, je ne tiens pas le démarrage face à un Mercedes Viano. D'où l'expression : chi va viano, va véner...

Passablement énervé, donc, devant mes collègues goguenards, je jure mais un peu tard qu'on ne m'y reprendrait plus. Au dîner, j'ai renoncé au fromage.

Photo prise sur le beef (réalisée sans trucage)

vendredi 2 mai 2014

Hauts plateaux, bas instincts

Dans cet univers feutré où les cravates désormais unies entrelacent des escarpins sexy, où le pédigrée moyen est un bac+5 de belle facture, où les manières sont so soft et où chaque mot est soigneusement pesé, périphrasé, ciblé, enrobé comme un suppositoire, les restaurants d'entreprises sont des laboratoires inédits et fort intéressants pour qui s'intéresse à la nature humaine.

Exit, les bonnes vieilles cantoches d'autrefois ! Les "R.E." modernes portent des noms exotiques, se prennent pour des lounges et abritent en théorie un moment de pause et de convivialité au milieu de journées brutales. Pourtant, pour une raison qui m'échappera toujours, chaque client semble devenir, en posant le pied sur ce carrelage où une semelle glissante vous ferait immédiatement passer pour le Pierre Richard de (premier) service, une sorte de Mr Hyde ou Mrs Hydette en puissance, un(e) Manimal aux dents acérées.

Les hostilités démarrent à 11h55, pass'qu'après c'est blindé. Une amie qui travaille dans une grande banque verte et blanche m'expliqua un jour à quel point l'heure du déjeuner y est un marqueur social. Plus on est chef, plus tard on déjeune. 13h30 est de bon ton, même s'il n'est pas sûr qu'il reste du bon thon. Aller se restaurer à midi quand on est directeur, c'est d'un populo ! Pour un peu ce serait mal vu. Ils sont bizarres ces banquiers...

Bref, la matinée s'achève à peine que voilà des hordes de collègues bavards dévalant en meutes l'escalier et se retrouvant comme de piaffantes pièces de Tetris à l'entrée de ce sanctuaire appelé selfL’œil noir et le couteau pointé comme une baïonnette, les affamés se lancent dans un parcours de mangeur de combat où chaque autre individu est désormais un ennemi. Bienvenue à The Food : seule la nourriture compte. Tiens, je vais proposer le concept à TF1. Prendra-t-il ma bouffe, me doublera-t-il à la caisse, prendra-t-il ma table ? Était-on en réunion ensemble il y a un quart d'heure ? Peu importe, maintenant c'est un concurrent de steak, un adversaire de filet de dinde. Se faufiler justement, voilà un  premier challenge. Si les plateaux étaient bordés de lames de rasoirs, on pourrait en tailler, des costards ! "Oh pardon, vraiment... C'est rien, c'est de la béarnaise...". Où donc avais-je les yeux, quoi donc avais-je dedans ? De la béarnaise, sans doute. Arrivant par grappes, les collègues se défragmentent au gré des graisses plus ou moins gluantes présentées en grains, agrippant des plats du jour qui remonteront l'après-midi. Au comptoir à salades on se retrouve en configuration cocktail, les chanceux ayant accès aux bacs rechignant à se pousser pour laisser la cuillère à ceux que ça fait chier d'attendre, c'est la quintessence du body language.

Vient la caisse et son bip monoprien. Et nous étions cent vingt à être le suivant de celui qu'on suivait... Chaque tribu a un éclaireur, celui qui passe en premier et qui a la lourde responsabilité de trouver une table. Ce genre de sport est réservé aux forces spéciales de l'équipe. La repérer, sauter dessus, déloger les éventuels insurgés (il y en a toujours) et sécuriser la zone. Un travail de nettoyage pour préparer la conversation conventionnelle qui suivra, peuplée à 99% d'histoires de bureaux, de chefs à la con et de jérémiades sur les droits d'admission facturés par le prestataire en charge du restaurant. Car en effet, le cœur de la cantine est là, dans cette séquence tout ça pour ça. Dix minutes de guerre, vingt minutes pour ingurgiter les râles des autres. Alors, pour conclure, on traînasse au dessert malgré les suivants de tout à l'heure qui cherchent maintenant une table aussi désespérément qu'un parisien cherche une place pour se garer. Qu'ils mettent la pression en stationnant ostensiblement à côté de nos assiettes vides, et l'on prendra un malin plaisir à sortir les smartphones pour se montrer des photos dont personne n'a rien à foutre (c'est à ça qu'on reconnaît les photos de smartphones). Après quelques minutes de cette guerre psychologique, on daignera se lever. Alors le geste grave, alors le regard fier, on ramène nos betteraves jusqu'en pleine lumière.

S'en suivra le même scénario en sortie de l'antre cantinesque, dans l'endroit le plus important et le plus stratégique de l'entreprise : la cafèt, pour ce moment viscéralement inscrit et rigoureusement indispensable à la culture française : le café. La terre peut s'arrêter de tourner, on ratera pas son expresso. Heu... Allongé pour moi, s'il vous plaît.

Le collègue de travail est une créature angoissée. Il a peur de manquer : manquer d'amis pour déjeuner, manquer de nourriture, manquer de temps. Surtout, si vous croisez un collègue glouton qui commence à stresser à 11 heures, rassurez-le. Projetez-vous dans une relation parent-enfant et dites lui que vous allez l'accompagner. Et pour le faire patienter, diffusez un peu de parfum d'ambiance "cantoche torride".

mardi 25 mars 2014

L'amour au camembert

Non, rrrrien de rien, non, je ne grrrratte plus rien...
Non, je déconne. Je gratte, beaucoup même, mais dans des fenêtres professionnelles. J'en passe des soirées à noircir des écrans. Gratter autant, alors que la vie est un jeu de tirage, quel mauvais calcul !

Il ne faut pas se tromper de tempo. Contrairement aux apparences, notre vie n'est pas rythmée, elle est algorithmée. J'en ai eu une preuve de plus l'autre jour avec un jeune collègue. Jeune collègue, ça veut dire la trentaine. S'il avait eu 44 ans, j'aurais dit très jeune collègue. Nous marchons comme des soldats en campagne, avenue de la Grande Armée, en route pour un rendez-vous. Mon collègue F. la trentaine donc, aussi chevelue que barbeuse, barbante aussi peut-être, presque beigbederienne et résolument célibataire, me fait remarquer la publicité que le bus nous jette à la figure. Une pomme violette faisant l’apologie de l’adultariat en ligne, un vrai must si l’on en croit le slogan. Un segment de marché à part entière, après que Simon Cynique a bien balisé le terrain des rencontres ex machina. Et non, je ne vous ferai pas un jeu de mots pourri du genre "annonces mythiques pour relations toc c'est merdique" ou "annonce mi-tic, mi-boudin". Zut, je l'ai fait.

En dix ans notre entremetteur 2.0 a fait du célibat ce qu’Audi a fait du diesel : transformer un handicap social en fierté, en état de fait qui représente 66% du marché, en institution républicaine. Dans les années 80, être célibataire c’était une maladie honteuse. Aujourd'hui, c’est un privilège, le droit de consommer de l’humain, de se gaver de pubis frais, d'adopter des mecs et de s'enrouler dans des peaux de cougars. Fais attention François, touche pas à mon écran ! Sinon tous les clavisexuels du pays descendront dans la rue, te remettront sur ton scooter direction Tulle, bloqueront les taxis (ça je veux bien) pour revendiquer haut et fort leur droit à la BMA (Baisouillette Meetiquement Assistée). Un motif en or pour faire défiler toutes les Frigide de France !

Le bus à pomme s'éloigne et mon collègue me dit tout de go qu'il a essayé les sites de rencontres classiques et que ça marche pas mal. Il n'en fallait pas plus à Alexagère pour sortir de sa tanière. "Ah bon, ça marche pas mal ?". Et lui de m'expliquer comment et pourquoi les algorithmes affinitaires permettent de cibler la recherche sur des personnes "adaptées". Bon sang, "adaptées", rien que le mot fait peur. Il rentre un nombre ahurissant de paramètres aussi personnels qu'improbables, comme la température idéale de cuisson de son poulet, et le site lui renvoie la poulette rêvée à la peau bien dorée. Un peu trop belle l'histoire, non ? Dans ma grande naïveté, je ne peux m'empêcher de lui demander : 
"- Est-ce que c'est parce que vous aimez tous les deux le camembert que vous ferez bien l'amour ?"
- Nan, mais faut pas le voir comme ça.
- Ben... Quand même un petit peu. Le préfabriqué, par définition, ce n'est pas fait pour durer.
- La durée, c'est bon pour les macarons, et encore. Qui te parle de durée ? Je ne cherche pas forcément la femme de ma vie. Et quand bien même, en regardant bien, les mariages arrangés c'est la trame de reproduction de l'humanité depuis la nuit des temps, et à tous les niveaux. Ça n'est pas mieux, c'est même franchement plus hypocrite.
- Un point pour toi, mais enfin, tout ce consumérisme..., dis-je en mimant un smiley triste.
- Pas d'accord. Je n'ai pas l'impression de consommer. La machine me permet de gagner du temps, c'est tout.
- C'est tout ? Ce n'est rien, ou plutôt, ce n'est que le commencement. St. Exupéry a raison, avec sa rose. Un jour on fera des sites de rencontres pour les chiens...
- Ça existe déjà !
- Remarque, c'est le meilleur moyen pour rencontrer une vraie chienne !
- C'est toi qui devient cynique, là. T'es lourd à tout intellectualiser. On dit la même chose en fait. C'est juste de la mise en relation. Matchmaker, matchmaker make me a match... Après la rencontre, c'est la vraie vie qui prime et il se passe un truc, ou pas. Personne n'est dupe.
- Ouais mais quand même, faire défiler des tronches à la pelle, ça pousse à la consommation, au jugement instantané, à la note de gueule.
- Ben oui, comme dans la rue.
- Et tu crois que tu pourras tomber amoureux un jour via cette interface ?
- Pourquoi pas ? Il y a quelques temps j'ai rencontré une fille très belle, on a très bien fité le mindset, affinités croisées, je lui plaisais aussi...
- Et ?
- Je n'ai pas pu, elle avait une haleine de camembert.
- Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute..."

mercredi 22 janvier 2014

Bienvenue chez les tchis

Les déplacements, c'est bien. C'est l'occasion de quitter la grisaille et la désespérante platitude quotidienne des collègues gémissants pour visiter le monde, ou bien la chambre de commerce de Guéret, pour les moins chanceux. Dans tous les cas, c'est un enchaînement de protocoles dont vos colocs de bureau apprécieront la narration, car ils prendront le récit de vos journées interminables dans une blafarde salle de réunion new-yorkaise pour une épopée sur la route 66. Tout est dans le story-telling. Mais ne crachons pas dans la soupe, les déplacements j'adore ça, cette semaine j'ai pu m'évader pour le cœur ensoleillé de la cité phocéenne. La confirmation tardive d'un client pour un rendez-vous arriva pendant mon trajet aller, changeant le plan initial et m'obligeant à rester stationné surplace pour la nuit au lieu de rentrer le soir. Qu'à cela ne tienne, un Monoprix plus tard me voilà équipé, comme il se doit, du kit de survie en milieu hostile. Je peux me rouler dans la boue pendant des heures, mais ce sera toujours avec un slip propre. Slip donc, brosse à dents, et surtout chargeur d'iPhone, concrétisant trente années de progrès technologique pour réinventer le téléphone avec fil... Double retors, car sans appli il n'est plus de salut, icône Novotel, process réglé en moins d'une minute, la smart-life nous réserve plus de chambres d'hôtels que de surprises, pour un peu on se prendrait tous pour des maîtres du monde alors qu'elle nous rend de plus en plus esclaves.

Le soir venu, je pars en bon aventurier extra-périphérique explorer les alentours. Canebière, me voilà ! J'aime Marseille. Entre exagérateurs on se comprend. Et puis c'est en visitant cette ville que j'ai découvert tant de choses, notamment l'Afrique du Nord, le premier qui me dit que je suis raciste, je lui mets la tête dans une brique à La Joliette. La Joliette justement, où je m'engouffre dans le tram direction Belsunce. Nine Inch Nails gicle de mes écouteurs, mais je suis plongé malgré moi dans la conversation de la jeune femme assise en face. Car chez ces gens-là monsieur, on ne parle pas monsieur, on ne parle pas, on gueule. C'est un fait établi, une marque de  fabrique et une fierté locale, elle s'exprime avec cette voix rauque qui ferait passer Joey Starr pour un garçonnet pré-pubère, et avec cet accent dégénéré à côté duquel un ch'ti trisomique passerait pour Bernard Pivot.  "- ALLO ? Mais tchi m'avais dji qu'tu passerais aujôrdji ! Vasji, bâtard, va ! Tchi peux repasser mardji ou mercredji ?". Encore, elle aurait l'accent pétasse, comme toute bonne parisienne, je ne dirais pas, mais là, peuchère !

Quatre stations et une souffrance auditive plus loin, je suis tellement dépaysé que j'ai l'impression d'avoir fait deux heures de vol. Car Marseille, disons-le tout de go, c'est des paysans. Il suffit de voir comment les gens vous observent quand vous êtes sur la Canebière, pour ressentir le malaise du crocodile qui est rentré dans une maroquinerie. Comment dire, la faune locale instille une ambiance où il vaut mieux avoir la Rolex discrète. Tous ces géants d'un mètre quatre-vingt dix, en survêtement-casquette, qui me regardent de travers alors que merde quoi, je me faufile avec mon petit costume et mon trench, ça me rappelle l'histoire de la grenouille à grande bouche (du Rhône). J'ai pas mal bourlingué, j'ai traversé Kiev de nuit bourré comme un ukrainien, je me suis baladé le soir dans Alger, sans jamais ressentir de stress. Mais là, bon ben, je vais pas trop traîner en fait. Je glisse à pas feutrés, dans une espèce de moonwalk, c'est à peine si l'on aperçoit le "itulreb" sous mes semelles, vraiment pas de quoi fouetter un consultant. Quoique.

Ne pas traîner, ne pas se faire égorger, juste manger. Enfilade de petites rues, hésitations. Ce soir j'ai décidé d'être unplugged, de la jouer acoustique, sans antisèche électronique, c'est so 2006 ! Aaaah, le vieux port, ses ruelles avec leurs alignements de fausses brasseries qui tendent les bras aux gogos de passage pour leur servir du gras déguisé en aïoli et de vraies bouillabaises... Je vais pas faire le difficile, je suis seul, j'ai faim, autant dire je ne suis pas en position de la ramener. Une petite table entre un groupe de russes et un couple hollandais, ça ira bien. Et ça fait des grands schloups, et ça fait des grands schloups... Et je pense à demain, quand je longerai la corniche, la simple vue de la Pointe Rouge me remplira de joie. Je kiffe If ! Oups, j'ai fini les croûtons. Au moins me voilà réchauffé, prêt à roter toute la soirée. Blurp.


Le lendemain matin, c'est le protocole du cadre en déplacement. Ça commence dès le réveil, quand on entend la douche du voisin se déclencher en même temps que la nôtre, et l'on se dit "meeeeeeerde, j'espère que j'aurai de l'eau chaude". Tels des veaux grégaires, nous descendons tous ensemble au petit-déjeuner via l'ascenseur omnibus qui ramasse les visages endormis de commerciaux usés diffusant les effluves de leur mauvais after-shave, goût chèvre. Dans cette cellule c'est l'ultra-moderne solitude, un mortel casting de commis voyageur qui aurait inspiré Miller. Prendre son plateau, ramasser trois viennoiseries au cholestérol(ex), trouver et s'installer à une table qui n'a pas eu le temps d'être nettoyée. Un peu de piétinement autour de la machine à café, drogue tellement sacrée qu'elle énerve les gens même à l'extérieur de la tasse. Mâcher mollement en essayant de ne pas écouter les conversations des groupes voisins qui distillent bruyamment leurs histoires de bureau et leurs blagues qui ne font croustiller que leurs Corn Flakes. Refaire la queue pour le check-out, je vous agrafe le reçu ? oui merci, au revoir madame. Il est huit heures, Marseille bouchonne, mais ça sera toujours plus sympa que Paris. Qu'est-ce que je pourrais inventer pour rater mon train ?

mardi 31 décembre 2013

La guerre des cuvettes

Je l’entends arriver. C’est normal, l’espace est exigu, l’endroit résonne. J’enclenche aussitôt la procédure de discrétion silencieuse. Elle consiste à se terrer, se figer, comme un lapin dans son terrier, comme un sous-marin nucléaire en azimétrie passive, et rester immobile en espérant que ce lambeau qui pendouille ne lâchera pas, ce qui trahirait aussitôt ma présence en ces lieux d’aisance. C'est le début d'une sourde guerre des nerfs que tout le monde vit au moins une fois par jour mais dont personne ne se vante. Normal, c’est une histoire de vains culs. Tenir, tenir coûte que coûte en priant pour que la faïence devienne anéchoïque, c'est au premier qui craquera et sortira en terrain dégagé, brisant l'anonymat rêvé des moments peu glamour. Et ça peut durer looongtemps. Ces moments d'intimité forcée sont très révélateurs. Dis-moi comment tu chies, je te dirai qui tu es.

Chez des individus supposés socialisés, civilisés, instruits et espérons-le, propres, la simple arrivée d’un semblable dans le périmètre de la litière du premier provoque chez ce dernier une inénarrable tétanie sphinctérienne. Probablement est-ce dû à la peur d’être vu, entendu, croisé, voire démasqué comme l’auteur de ce vilain pet, le responsable de cette nauséabonde réplique de Bhopal. Admettons-le, croiser un collègue, pour peu que ce soit le chef, nous envahit d’un sentiment aussi humain que paradoxal : le soulagement de savoir que tout le monde a les mêmes contraintes physiologiques, mêlé à la gêne de s’en libérer en groupe. C'est d’ailleurs l'objet d'une phobie très répandue, la parurésie. Des années d’observation minutieuse de ces phénomènes copro-chutistes m’ont amené à en distinguer des tendances.

D’abord, propreté et statut social sont bien décorrélés. Je me souviens d’avoir été le témoin involontaire du passage d’un ponte du cabinet à l'endroit homonyme, alors que j’étais piou-piou. J'étais entré en action et je l'entendis débouler d’un pas énergique, c’était un grand gaillard au physique de rugbyman. Croisant un autre, il signa là sa présence avec un sonore « bonjour » de circonstance. Une fois cadenassé et installé, il lâcha la bride à une horde de scories fécales sous pression hyperbare dont l’évacuation fit trembler le bâtiment. Cette éruption coupa net mon timide égouttage collatéral. Il devait être très pressé car il repartit aussitôt et je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu le lavabo ni le pouêt-pouêt caractéristique de la pompe à savon.

Ce qui m’amène à la seconde observation... Le lavage de mains fonctionne de manière exactement inverse à la parurésie : beaucoup d’individus ne se lavent les mains que s’il y a des témoins. N'oubliez jamais cela quand vous déjeunez à la cantine avec un collègue qui a fait escale sur le chemin et pensez à lui demander s'il a croisé du monde.

Enfin, certains hommes, sans doute des créatifs contrariés, trompent l’ennui relatif de ces moments de sérénité animale en décorant ce qui est à leur portée avec ce qui est à leur portée. C’est ainsi que l’on trouve, accrochées aux carreaux telles des toiles de maîtres, des sculptures de matières muco-nasale savamment réparties. De même, est-ce par désir esthétique ou par instinct refoulé de marquage de territoire, que la délicate porcelaine blanche se trouve si souvent maculée de flaques, au point que l’on ressort de là en voyant le monde jaune citron ?

Je me suis toujours demandé comment c'était du côté des filles. A mon grand étonnement, j'ai souvent entendu le tonnerre gronder de l'autre côté de la cloison. Des rafales décomplexées, Aphrodite avait dû manger trop de moussaka.