On est partis en retard, comme d'habitude. On essaie de se retrouver à une heure décente Porte d'Orléans, car on sait que la nuit va être longue au volant et courte au lit. On n'arrive jamais à tenir l'horaire, il faut finir le boulot avant de partir et les statistiques ne se démentent pas, c'est toujours dans ces moments-là que tout se cumule. Aaah!... La bourre, toujours la bourre... On finit par plier et on atteint l'autoroute à 20h. On est fatigués comme un jeudi soir, mais excités comme des puces devant un lapin vierge.
Vous avez compté combien de "on" jusque là ?
Armel prend le premier quart, je m'installe derrière et m'étale sous une couverture, c'est la première fois que je voyage à l'arrière de ma propre voiture. Un vis-ma-vie avec mes enfants, en quelque sorte. On discute de tout, de rien, mais surtout de tout. Pour s'extraire de Paris il faut un tire-bouchon, heureusement qu'on a de la bouteille. Le coffre est rempli de matériel glissant.
Vous avez compté combien de "on" jusque là ?
Armel prend le premier quart, je m'installe derrière et m'étale sous une couverture, c'est la première fois que je voyage à l'arrière de ma propre voiture. Un vis-ma-vie avec mes enfants, en quelque sorte. On discute de tout, de rien, mais surtout de tout. Pour s'extraire de Paris il faut un tire-bouchon, heureusement qu'on a de la bouteille. Le coffre est rempli de matériel glissant.
91, 77, 45, 89, 21. Passer Beaune et faire un baiser à la vigne hiverneuse de mes collines chéries. Les choses sérieuses commencent après Lyon. Cap à l'Est, à l'approche de Chambéry le sucre glace saupoudre les pentes, laissant présager que ça ne va pas être du gâteau. C'est la mi-décembre et la pellicule est vierge et fraîche. Le spot dans le ciel détache les silhouettes pré-alpines et l'on roule dans un camaïeu de bleu marine. Il faut vous imaginer dans l'atmosphère, avec le poids de cette
fatigue souhaitée, presque complice, et Radiohead répondant magnifiquement à la lune
bienveillante qui nous précède en éclaireuse. Les phares xénon c'est pour les frimeurs. Reckoner
installe une ambiance que l'on pourrait, que l'on devrait filmer, paisible, concentrée et voyageuse. C'est notre road-trip d'ouverture, sur la route
des pistes. En l'occurrence la route est devenue une piste, maintenant couverte par dix
centimètres de poudre. Cette poudre-là, c'est comme une drogue.
Sorti de nulle part, un convoi d'espagnols fait naufrage sur la BAU. Dans une corrida inattendue, notre taureau noir fend un balai d'échoués clignotants qui installent leurs chaînes xanthophores dans ce halo d'orange et de blanc. Un balai d'essuie-glaces, une réaction en chaînes, si je puis dire. Il s'en passe des choses, There There. J'ai greffé des pneus hiver, ça nous permet de monter sur le blanc en neige, on n'est pas des bleus. Les trente kilomètres qui séparent Moutiers de Val Thorens sont un parc d'attraction, un Space Mountain au ralenti, un parcours délicieux que nous avalons seuls au monde dans un blizzard qui a laissé les copains et les inconnus déchaînés immobiles. La route est fermée, on en est à vingt centimètres de neige. 3h17 à l'horloge, la nuit s'annonce de la même couleur que la route : blanche. Une ascension en 4x4 à crampons, totalement assumé (le 4x4), même pas peur, on se partage les virolos, croisons un renard, en faisons un roman, nous rapprochons de notre troisième étoile. Telle est ma quête, suivre l'étoile.
La seule trace de vie à l'arrivée ce sont les anglois beuglants et fumants qui avalent leurs bières en t-shirt sur les terrasses. Il fait -13°C, nous sommes à 2.300 mètres. Pas de doute, ce ne sont pas des êtres humains. 4h47, déchargement terminé, les skis sont au casier, Everything in it's right place. Couchage initié, ça laisse deux heures avant d'aller croquer les pistes. 5h08, le téléphone sonne. Il faut retourner chercher les copains bloqués à Moutiers. Le sommeil peut attendre, la neige, moins.
Nous sommes collègues, confrères, concurrents parfois, mais surtout nous sommes potes. Nous ne raterions pour rien au monde ces trois jours sur nos planches et sous les radars. C'est un plan de mecs, dixit Gainsbourg. Un rite annuel, simple. Pas de chichis, pas de beauferies. Des garçons droits avec des skis paraboliques, qui malgré le rhum chauffeur de soirées ne se sentent pas obligés de meugler. C'est qu'on a le vin fin, nous, monsieur ! On descend vite et en silence, presque furtifs. C'est Call of le ski, le seul jeu vidéo que j'aime, parce que la console, c'est les Alpes, l'écran blanc de mes nuits noires, le seul univers où l'on est heureux que ça sente le sapin.
Un jour de décembre 2010, ils m'ont sauvé la mise, c'était un jour blanc. Dans un élan d'intégrisme skieux, j'ai voulu me faire sauter comme une bombe Atomic. Je n'ai pas vu que c'était un petit ravin, j'ai juste vu le sang sortir par ma bouche quand je me suis aplati tel une bouse à la chandeleur. Ils ont foncé, la barquette a pu me ramasser à temps, rouge sur blanc avant l'écran noir. Nous approchons la fin novembre, j'ai de la neige qui boue dans le sang.
Sorti de nulle part, un convoi d'espagnols fait naufrage sur la BAU. Dans une corrida inattendue, notre taureau noir fend un balai d'échoués clignotants qui installent leurs chaînes xanthophores dans ce halo d'orange et de blanc. Un balai d'essuie-glaces, une réaction en chaînes, si je puis dire. Il s'en passe des choses, There There. J'ai greffé des pneus hiver, ça nous permet de monter sur le blanc en neige, on n'est pas des bleus. Les trente kilomètres qui séparent Moutiers de Val Thorens sont un parc d'attraction, un Space Mountain au ralenti, un parcours délicieux que nous avalons seuls au monde dans un blizzard qui a laissé les copains et les inconnus déchaînés immobiles. La route est fermée, on en est à vingt centimètres de neige. 3h17 à l'horloge, la nuit s'annonce de la même couleur que la route : blanche. Une ascension en 4x4 à crampons, totalement assumé (le 4x4), même pas peur, on se partage les virolos, croisons un renard, en faisons un roman, nous rapprochons de notre troisième étoile. Telle est ma quête, suivre l'étoile.
La seule trace de vie à l'arrivée ce sont les anglois beuglants et fumants qui avalent leurs bières en t-shirt sur les terrasses. Il fait -13°C, nous sommes à 2.300 mètres. Pas de doute, ce ne sont pas des êtres humains. 4h47, déchargement terminé, les skis sont au casier, Everything in it's right place. Couchage initié, ça laisse deux heures avant d'aller croquer les pistes. 5h08, le téléphone sonne. Il faut retourner chercher les copains bloqués à Moutiers. Le sommeil peut attendre, la neige, moins.
Nous sommes collègues, confrères, concurrents parfois, mais surtout nous sommes potes. Nous ne raterions pour rien au monde ces trois jours sur nos planches et sous les radars. C'est un plan de mecs, dixit Gainsbourg. Un rite annuel, simple. Pas de chichis, pas de beauferies. Des garçons droits avec des skis paraboliques, qui malgré le rhum chauffeur de soirées ne se sentent pas obligés de meugler. C'est qu'on a le vin fin, nous, monsieur ! On descend vite et en silence, presque furtifs. C'est Call of le ski, le seul jeu vidéo que j'aime, parce que la console, c'est les Alpes, l'écran blanc de mes nuits noires, le seul univers où l'on est heureux que ça sente le sapin.
Un jour de décembre 2010, ils m'ont sauvé la mise, c'était un jour blanc. Dans un élan d'intégrisme skieux, j'ai voulu me faire sauter comme une bombe Atomic. Je n'ai pas vu que c'était un petit ravin, j'ai juste vu le sang sortir par ma bouche quand je me suis aplati tel une bouse à la chandeleur. Ils ont foncé, la barquette a pu me ramasser à temps, rouge sur blanc avant l'écran noir. Nous approchons la fin novembre, j'ai de la neige qui boue dans le sang.