Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
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mercredi 20 novembre 2013

Call of le ski

On est partis en retard, comme d'habitude. On essaie de se retrouver à une heure décente Porte d'Orléans, car on sait que la nuit va être longue au volant et courte au lit. On n'arrive jamais à tenir l'horaire, il faut finir le boulot avant de partir et les statistiques ne se démentent pas, c'est toujours dans ces moments-là que tout se cumule. Aaah!... La bourre, toujours la bourre... On finit par plier et on atteint l'autoroute à 20h. On est fatigués comme un jeudi soir, mais excités comme des puces devant un lapin vierge.
Vous avez compté combien de "on" jusque là ?
Armel prend le premier quart, je m'installe derrière et m'étale sous une couverture, c'est la première fois que je voyage à l'arrière de ma propre voiture. Un vis-ma-vie avec mes enfants, en quelque sorte. On discute de tout, de rien, mais surtout de tout. Pour s'extraire de Paris il faut un tire-bouchon, heureusement qu'on a de la bouteille. Le coffre est rempli de matériel glissant.

91, 77, 45, 89, 21. Passer Beaune et faire un baiser à la vigne hiverneuse de mes collines chéries. Les choses sérieuses commencent après Lyon. Cap à l'Est, à l'approche de Chambéry le sucre glace saupoudre les pentes, laissant présager que ça ne va pas être du gâteau. C'est la mi-décembre et la pellicule est vierge et fraîche. Le spot dans le ciel détache les silhouettes pré-alpines et l'on roule dans un camaïeu de bleu marine. Il faut vous imaginer dans l'atmosphère, avec le poids de cette fatigue souhaitée, presque complice, et Radiohead répondant magnifiquement à la lune bienveillante qui nous précède en éclaireuse. Les phares xénon c'est pour les frimeurs. Reckoner installe une ambiance que l'on pourrait, que l'on devrait filmer, paisible, concentrée et voyageuse. C'est notre road-trip d'ouverture, sur la route des pistes. En l'occurrence la route est devenue une piste, maintenant couverte par dix centimètres de poudre. Cette poudre-là, c'est comme une drogue.

Sorti de nulle part, un convoi d'espagnols fait naufrage sur la BAU. Dans une corrida inattendue, notre taureau noir fend un balai d'échoués clignotants qui installent leurs chaînes xanthophores dans ce halo d'orange et de blanc. Un balai d'essuie-glaces, une réaction en chaînes, si je puis dire. Il s'en passe des choses, There There. J'ai greffé des pneus hiver, ça nous permet de monter sur le blanc en neige, on n'est pas des bleus. Les trente kilomètres qui séparent Moutiers de Val Thorens sont un parc d'attraction, un Space Mountain au ralenti, un parcours délicieux que nous avalons seuls au monde dans un blizzard qui a laissé les copains et les inconnus déchaînés immobiles. La route est fermée, on en est à vingt centimètres de neige. 3h17 à l'horloge, la nuit s'annonce de la même couleur que la route : blanche. Une ascension en 4x4 à crampons, totalement assumé (le 4x4), même pas peur, on se partage les virolos, croisons un renard, en faisons un roman, nous rapprochons de notre troisième étoile. Telle est ma quête, suivre l'étoile.

La seule trace de vie à l'arrivée ce sont les anglois beuglants et fumants qui avalent leurs bières en t-shirt sur les terrasses. Il fait -13°C, nous sommes à 2.300 mètres. Pas de doute, ce ne sont pas des êtres humains. 4h47, déchargement terminé, les skis sont au casier, Everything in it's right place. Couchage initié, ça laisse deux heures avant d'aller croquer les pistes. 5h08, le téléphone sonne. Il faut retourner chercher les copains bloqués à Moutiers. Le sommeil peut attendre, la neige, moins.

Nous sommes collègues, confrères, concurrents parfois, mais surtout nous sommes potes. Nous ne raterions pour rien au monde ces trois jours sur nos planches et sous les radars. C'est un plan de mecs, dixit Gainsbourg. Un rite annuel, simple. Pas de chichis, pas de beauferies. Des garçons droits avec des skis paraboliques, qui malgré le rhum chauffeur de soirées ne se sentent pas obligés de meugler. C'est qu'on a le vin fin, nous, monsieur ! On descend vite et en silence, presque furtifs. C'est Call of le ski, le seul jeu vidéo que j'aime, parce que la console, c'est les Alpes, l'écran blanc de mes nuits noires, le seul univers où l'on est heureux que ça sente le sapin.

Un jour de décembre 2010, ils m'ont sauvé la mise, c'était un jour blanc. Dans un élan d'intégrisme skieux, j'ai voulu me faire sauter comme une bombe Atomic. Je n'ai pas vu que c'était un petit ravin, j'ai juste vu le sang sortir par ma bouche quand je me suis aplati tel une bouse à la chandeleur. Ils ont foncé, la barquette a pu me ramasser à temps, rouge sur blanc avant l'écran noir. Nous approchons la fin novembre, j'ai de la neige qui boue dans le sang.

mardi 12 novembre 2013

Lapin glycéro

J'en ai encore reçu un aujourd'hui, un de ces courriers format A4 dont le poids vous fait dire que le prix des timbres aurait payé la perceuse que vous venez d'acheter chez Merlin l'emplâtreur. La simple vue du logo en relief sur l'enveloppe vous flatte l'ego en vous chuchotant que vous faites partie du club privé des happy fews de chez Trucffany, sentiment amplifié par la lecture de mon nom et de mon adresse calligraphiés. L'enveloppe satinée fait presque office de papier cadeau. La mise en scène postale est réussie.

N'osant pas déchirer cet écrin, je pratique une enveloppectomie à l'aide de ciseaux et sors un magnifique catalogue à la couverture imitation croco et aux pages si épaisses qu'à chaque fois qu'on en tourne une on a l'impression de sauter un chapitre. Osez Joséphine, c'est du luxe Valentine. Une sorte de peinture glycéro-sociale. A la réflexion, en peinture, en papier, en coton ou en tôle, le luxe c'est une question d'épaisseur. Ça se démontre facilement. Regardez les maisons qui se sont envolées comme des fétus de paille aux Philippines vendredi dernier, on voit tout de suite que c'est de la camelote. L'histoire des trois petits typhons se répète, encore et encore, c'est que le début, d'accord, d'accord. Le Nouf-Nouf qui est en moi voit rose et comme ce vilain cyclone a gâché un week-end prolongé qui s'annonçait sous les meilleurs auspices, ceux de Beaune, j'ai décidé de me plonger dans le catalogue de Truc pour oublier un peu toute cette misère. C'est vrai quoi, à peine a-t-on eu le temps de tirer la chasse sur les naufragés de Lampedusa qu'arrive la promo suivante de gueux, ça commence à me briser les boutons de télécommande.

Va pour un plongeon dans un océan d'insouciance. En quelques lignes, je me sens aspiré comme Alice dans le terrier du lapin. Une galerie de personnages tous beaux, photoshopés mais beaux, me regardent et me susurrent que je vais avoir le droit de faire des trucs eeeeexclusifs chez Truc mais surtout à la fin il ne faut pas oublier d'acheter des trucs parce que faut pas déconner non plus, comme en magie, il y a toujours un truc. Si le stéroïde egoïsant fait effet, vos glandes Amex vont passer un sale hiver. Vos paupières sont lourdes, vous vous voyez déjà en haut de l'affiche, cette montre au poignet, cheveux au vent, conduisant négligemment une magnifique Delahaye 135M Roadster aux côtés d'une mannequin improbable. Non, vraiment, improbable. Histoire de vous enduire le trou duc de stuc, et avec le sourire, on vous octroie royalement 20% de réduc ce qui quand on y réfléchit ramène le prix là où il aurait toujours dû être : à six fois le Smic. Mais moi, pas de bol, je suis fils de chirurgien et il me faut plus qu'un peu de Propofol pour m'endormir.

Clac ! Livre refermé, Delahaye pliée, je me délecte à décortiquer le mécanisme cérébral de ceux qui sniffent ce genre de volutes, celles que le lapin crétin souffle dans leurs narines pour les mener par le bout du nez. Mais dans le mien de nez, il y a des cristaux de moutarde qui montent, question de développement du râble. Les cercles de luxe en tous genres sont les filiales d'une seule maison mère, celle des idiots qui se regardent le nombril. Narcisse, tu as dû beaucoup forniquer pour autant te reproduire, oserai-je dire que tu as niqué comme un léporidé. A moins que ce ne soit l'inverse. A grands renforts de pipes, ton opium est devenu plus raffiné que tes fans.

C'est sec ? En avant pour la deuxième couche. De tous les clubs qui vous font croire que l'élégance s'achète et vous jettent le DNA de la brand (expression authentique utilisée par une marketeuse venue me former il y a des années) à la figure, l'un des plus actifs du moment est celui des calcéologues. D'avoir rassemblé trop d'ânes, il a fait des émules, à grands renforts d'épais catalogues et de ministres boiteux. J'en sais quelque chose, je suis inscrit aux anciens calcéologues anonymes. Voici venu le banc des petits marquis poudrés version 2013 qui se prennent pour des pointures et se pavanent entre la Madeleine et la rue Marbeuf vêtus en Monsieur Du Snob, dissertant doctement sur l'art de colorier le cuir. S'ils pouvaient sortir de leur corps pour se regarder marcher, nul doute qu'ils le feraient, en se courbant bien pour peindre leurs talons en rouge. Le dandysme c'est du ridicule qui gangrène, ça commence par vous prendre les pieds et ça remonte le long des jambes. Heureusement ce n'est pas trop contagieux. La preuve, il n'a pas atteint l’Éthiopie, laboratoire mondial de test pour toutes les pires épidémies. Dès lors comment ne pas déféquer sur le paillasson de ceux qui essuient leurs souliers point nets ? Et en même temps, comment ne pas pleurer en regardant l'état des chaussures de 90% des cadres ? Certains mangent du cirage pour briller en société, d'autres en privent leurs attributs les plus précieux. Le cuir s'assèche et laisse la peau à vif. Le luxe, une question d'épaisseur je vous dis.