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vendredi 23 janvier 2015

After 8, before midnight

Invité à l'insu de mon plein gré pour fêter le gain d'une affaire importante, je me suis retrouvé hier dans ce que l'on appelle un afterwork. Je déteste ce moment post-poste, ce pot entre potes-collègues qui ressassent jusqu'à l’écœurement leurs anecdotes de bureau ponctuées de rires gras baignant dans la bière et l'horizon borgne de cadres au dynamisme incertain. Je déteste, mais je ne peux m'y soustraire, on aurait vite fait de me dire "Alex, t'exagères !" et je n'ai pas les moyens de faire à mon patron le cadeau de me traiter d'asocial. En effet tout le power grid de l'équipe se transporte le temps d'une soirée, juste histoire de changer de décor, de rafraîchir l'eau dans l'aquarium des requins, il paraît que ça soude.

Le cadre est un poncif du genre, un pub qui représente une merveille de mécanique des fluides grâce à l'équilibre entre le flux de bière servi à l'entrée et le flot d'urine déversé à l'arrière vingt minutes plus tard (vous connaissez maintenant la différence entre la bière et le pipi). Il pleut des limonades et des Kilkenny tièdes, des mojitos glacés pour employés maussades, pour cadres aseptisés. Comble, l'endroit rassemble plusieurs pots d'équipes, ce qui nous donne l'étrange loisir d'être à la fois dans le cercle et hors du cercle, observateurs et observés, scrutés, toisés, on est à Paris quoi, merde. Selon l'angle adopté, l'on peaufine notre contradiction. Nous, on est classe et on discute, alors que les autres gueulent et se comportent comme des beaufs. Nous on est à fond, les autres ils tirent des tronches. Las ! Ils n'ont qu'un gramme d'avance. Comme une guirlande de fréquences basses et de rires stridents qui passe de table en table, une sorte d'ola sonore célèbre l'indigence managériale du quartier.

L'alcool, au fil des volutes, aide quelques langues à se délier, celles des coincés de la glotte, celles des lèche-culs, celles de ceux qui en bavent. Une fois passé le cap du gramme cinq, le boss désinhibé, qui n'est qu'un beauf à galons, inaugurera la séance des blagues racistes, c'est sa manière d'être cool. Elles commencent en général par "vous savez pourquoi les arabes...". Sous l'éclairage à leds se révèle sa laideur. Tout le monde se tordra de rire, la base de la base c'est de fayoter pour au moins survivre. Arrivés à deux grammes, on en sera à "ouais mais la confrérie des zizis coupés, ils le cherchent un peu, aussi". Le terrain est mûr pour se lancer dans un débat sur les attentats et leurs causes. Comptoir, tiens-toi bien et soutiens-moi fort ! Les commentaires, à la hauteur du zinc, sont vibrants d'incompétence géopolitique, je fuis Charlie.

Juste à côté, les timides bravent les lois de leur gravité. Le cœur à la dérive, ils se forcent à ne pas parler qu'à leurs amis Facebook. Parce que ce soir-là elle se sent un peu seule, parce que ce soir-là il a les pommes de terre au fond du sac et parce qu'ils ont travaillé sur le même projet, leurs vagues regards se croiseront entre deux renvois d'assiette charcuterie et ils iront prolonger cette illusion éthylisée dans une soirée baisouillette-sur-Ikea qu'ils prendront pour le début d'une histoire. Ou peut-être qu'il ne se passera rien, elle ne voit en lui qu'un bon copain, cet animal de compagnie dont les femmes raffolent quand elles veulent s'épancher sur les vertus d'un autre. Si c'est le cas, il mettra le cap sur les trois grammes en remplissant le ballast de vodka - Red Bull tout en replongeant immédiatement le nez dans son smartphone. Ironie du sort, la musique de fond est Ultra moderne solitude de Souchon. Manque plus qu'Highway to hell.

Dans la salle du fond, changement d'ambiance, on dirait un cours de zumba... Non ! C'est un pot de départ et la strip-teaseuse de circonstance tex-averise les garçons qui éructent des encouragements à l'effeuillage avec la classe d'un taxi parisien coincé porte de la Chapelle. Et l'on n'échappera pas à l'intro de Seven nation army en version beuglée façon école des ânes...

Vers 22 heures on commencera à sortir au son du faukjihaille, c'est l'heure où les bretelles soutiennent le présent des passants répandus et des alcoolisants. Tu vas par où, par là, ah, tu veux que je t'accompagne, nan mais je vais prendre un Vélib, ah ok. Charlie est déjà loin, la chape de plomb de la couille-mollitude ordinaire a recouvert les tombes des dix-sept victimes. C'était il y a quinze jours, c'était il y a un siècle, et les deux mille victimes de Boko Haram au Nigéria lors de la même semaine, on s'en fout.

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