Bienvenue sur Alexagère

Opinions tranchées, points de vue partiaux, caricatures iconoclastes, analyses simplistes, expressions à l'emporte-pièce, conclusions hâtives...
Des avis sur tout mais surtout des avis. Taquin mais pas moqueur, écorché mais pas donneur de leçon, provocateur... De rires je l'espère.
Retrouvez-moi sur Facebook

vendredi 31 octobre 2014

Echec et maths

Que dire d'un pays qui ne vénère que les forts en maths ? Que ça me véner ? Facile, mais vrai. Depuis aussi loin que ma sous-culture générale remonte, la France porte un culte particulier à celles et ceux qui manipulent les chiffres du bout de leurs neurones, aux équilibristes de l'équation, aux funambules des dérivées secondes. Est-ce par un atavisme géocentrique, un biberonnage aux chiffres arabes, une fascination pour les fruits du boulier ? Peu importe, le fait est. T'as fait l'X, t'es un as, t'as fait autre chose, t'es un nase. Ingénieux ingénieur t'es cador, laborieux universitaire tu finiras chercheur... D'emploi. La blouse ou la louse, quoi, à Nanterre l'emploi s'enterre. Seule chance de se rattraper, faire l'ENA pour apprendre à parler fort afin de masquer son incompétence tout en exerçant les plus hautes fonctions.

Le système éducatif de notre nombriliste pays, qui donne des leçons, est-ce parce qu'il est free, qu'il n'a rien compris, a décrété que la seule chance d'un individu pour atteindre le sérail des élites est de percer l'équation de Drake. On voit où ça nous mène. Pas de place pour une autre forme d'intelligence, fût-elle arborescente. Le filtre est là, insidieusement logé dans l'ADN de n'importe quelle école dès le primaire. Tu rentres pas dans le moule, c'est que tu en es une, il y a les "bons" et les autres. Pourtant j'ai rencontré dans ma vie suffisamment de crétins diplômés des plus grandes écoles pour savoir relativiser. Et la relativité, c'est de la physique.

Le comble, c'est qu'ils sont forts, il faut le reconnaître. Mais à quoi bon fabriquer un Rafale quand on n'est pas foutu de le vendre ? Là est la question. Quand on sait que ce sont les polytechniciens qui, ayant pris le pouvoir chez Dassault au début des années 90, introduisirent la couleur dans l'avionique dudit appareil, ce qui provoqua un rejet immédiat des pilotes, ça en dit long sur la différence entre matheux et pragmatiques.

La France, c'est exactement comme le Rafale. Un super produit, qui a une très haute opinion de lui-même, sauf qu'à force de neuneuter il est arrivé trop tard sur le marché. Les trains sont passés, et ils n'étaient pas d'atterrissage. Alors personne n'en veut plus et tout le monde achète les pièces détachées. Nous voilà devenus officiellement une usine d'ingénieurs qui se délocalisent dès qu'ils sont diplômés, c'est dire s'ils voient un sens à rester dans leur pays. On est trop forts, on a réussi à inventer l'export-nawak : l'unité de production reste en France et ce sont les produits porteurs de renouvellement qui se barrent à l'étranger faute de débouchés locaux crédibles. C'est le point culminant de l'absurdité, pour un centralien fabriqué et aussitôt exporté, le système génère des milliers de chômeurs, condamnant de facto l'économie à la sclérose en plaque.

Bien entendu, les chantres des RH s'insurgeront face à de tels propos. Les RH, vous savez, ce peuple de connasses pétries de certitudes, convaincues de leur philanthropie et qui, bien que dopées par les marchands de logiciels, ne voient pas plus loin que la gestion du personnel. Quoi, comment, même pas vrai, quel scandale, monsieur vous êtes aigri foncé, nous on recrute des gens venant d'horizons (a)variés. Pas des gens d'ailleurs, des "talents", les gens on ne sait pas ce que c'est, ils n'ont pas les bons diplômes.

mardi 30 septembre 2014

Golders Green

Il faut savoir reconnaître ses erreurs et rendre justice. Il y a un certain temps, j'ai écrit ici que les taxis parisiens sont des pourritures. Je m'étais trompé. Ce sont de GROSSES pourritures. Et en plus, ils sont contagieux : à force de desservir Roissy, ils ont lobotomisé les pilotes Air France.

J'ai eu la preuve de cette pandémie lors d'un récent déplacement à Londres. Londres, vous savez, la ville où la deuxième langue la plus parlée est l'anglais, juste après le français. Le New-York à deux heures de train pour parisien en mal de posture dînatoire, la solution idéale pour prendre son shot de branchouillade le temps d'un week-end, le seul endroit où courir les soldes ne fait pas plouc, la ville où des crevards moins assistés que leur direction nous donnent des leçons de business. En même temps c'est normal, ils roulent à gauche et conduisent à droite.

Nous étions six et, au retour d'une banlieue improbable où nous avions passé la journée dans un datacenter (datacenter : n.m. [anglais], endroit où sont abrités les racks de serveurs stockant les données de sites comme celui-ci, autrement dit vraie maison de vos amis Facebook et de nos commandes Amazon) nous cherchions un endroit où vider nos oreilles et remplir nos estomacs... Oui parce qu'une journée dans une salle machine digne de ce nom équivaut à dix heures non-stop de Hellfest avec la tête dans les baffles.

Déjeuner typique autour d'un datacenter anglais

Aussi affamés qu'assourdis, nous géolocalisâmes de la viande argentine à Golders Green. Moi, quand on me parle d'entrecôte, je dis graisse, mais Alain dit go. En route ! Jouant de bon cœur au vétéran avec mes padawans pas tous trentenaires, je leur parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. A cette époque il n'y avait pas d'Eurostar et rejoindre Albyon prenait des heures, voire des nuits. Je leur raconte Londres 1990, et ceci, et cela, et la fierté des cabbies de connaître toutes les rues de Londres par cœur. Ici on n'est pas à Paris, les mecs ! Oui mais là on est six, on est en 2014 et les cabbies c'est cinq pax max. Bon ben on va prendre un mini-van alors. Ça doit être le costume. Six pingouins à la sortie de Victoria, ça se voit venir.

To Golders Green, please. Et le vieux chauffeur à l'amabilité digne d'un garçon de café parisien démarre. Le bon côté, c'est qu'on a traversé Londres en long, en large et en travers. Mais au bout de 40 minutes et 230 gargouillements intestinaux, on commençait à trouver le temps long. Il nous a vus venir, je confirme. Six men in black avec leur sac à pc rivé au cubitus, ça sent le gogo, et quand le décor commence à se répéter comme dans une poursuite de Tex Avery, une étrange odeur de vaseline envahit l'habitacle.

Sur le compteur les yeux rivés, enfin l'arrivée, tout le monde descend. Je tends ma carte.
- Can i get a receipt please ?
- Sorry sir, it's not my cab, i can't use the card terminal.
Le doute s'immisce, la méfiance m'habite. Je tends mes deux twenties.
- Here you are. Can i get a receipt please ?
Et là, l'erreur fatale, la faute de débutant, je descends. Il s'est barré l'enculé ! J'ai beau courir vite, je ne tiens pas le démarrage face à un Mercedes Viano. D'où l'expression : chi va viano, va véner...

Passablement énervé, donc, devant mes collègues goguenards, je jure mais un peu tard qu'on ne m'y reprendrait plus. Au dîner, j'ai renoncé au fromage.

Photo prise sur le beef (réalisée sans trucage)

lundi 21 juillet 2014

Miss Pantémor

Depuis un an, on la croyait finie, à l'agonie, reléguée au rebut avec le rang de ringard renseignement ricain. En juin 2013, les révélations d'Edward aux mains d'agent ont déferlé telles un tsunami de naphtaline sur Langley, faisant de cette bourgade sans intérêt la capitale de l'espionnage à la papa aussi sûrement que Guémené est la capitale de l'andouille. Alors voilà, hein, parce que quelques nerds suréquipés savent en 3 clics si le dernier bar au sel que j'ai cuisiné était un djihadiste potentiel, il faudrait jeter 60 ans de coups d'états et de tortures aux oubliettes ? Ah, non, c'est un peu court jeune homme ! On pouvait dire, oh, Dieu, bien des choses en somme, en variant le ton, par exemple tenez : "Beuaaaaarrr !". Les bonnes vieilles méthodes ça a du bon, essayez donc la simulation de noyade avec mon bar...

Quelle goujaterie envers celle qui a tellement œuvré pour que chacun trouve un Starbucks Coffee au coin de sa rue, qui a si bien babysitté les dictatures d'Amérique centrale, tant extorqué les ressources pétrolières mondiales et si allègrement alimenté le cinéma américain ! Car elle au moins, elle a su être reconnaissante. Depuis sa romance avec Walt Disney dans les années 60 en Floride, elle n'a eu de cesse de rendre à ses arts le napalm qu'elle n'a pas balancé sur les ch'tis vietnamiens. Elle s'est de facto engagée à soutenir les studios pour moderniser le concept de cow-boy. Elle a ainsi pu fournir aux scénaristes des troupeaux de héros musclés descendus de leur cheval pour monter dans leur hélico (voir ci-dessous). Il se chuchote même qu'elle aurait contribué à l'écriture de Game of drones. Mais si, vous avez bien vu, ou alors Netflix vous le rappellera bientôt. Depuis 25 ans, dans tout ce qui ressemble à un film d'action US, le héros est toujours un agent de la CIA ou un ancien agent de la CIA, ou un pote d'un ancien agent de la CIA, ou un type qui aurait bien voulu être un ancien de la CIA. Bref, à chaque fois qu'il rentre dans une pièce en explosant la porte, il sort son Colt et crie "CIA  ! Pan ! T'es mort !" et le méchant tombe comme un régime socialiste au Chili. Un peu aussi comme dans la cour de récré à la maternelle, en fait, sauf qu'à la maternelle je ne défonçais pas tout ce qui ne pensait pas comme moi. Si c'est pas de la régression, c'est une stratégie marketing exemplaire pour créer une marque... Ne riez pas, enfin pas tout de suite, comme toute marque, elle a ses produits dérivés :




Kitch non ? Tout comme cette scène systématique, copiée/collée d'un scénario à l'autre, où un(e) chef énervé(e) fait irruption dans une salle remplie d'écrans et de bonhommes, en défonçant la porte, ah non, il vient de la défoncer au paragraphe d'avant. Et d'hurler "Je veux tout savoir sur ce salopard, ses déplacements, ses comptes en banques, son numéro de sécurité sociale, ses tickets de pressing, les numéros qui manquent dans sa collection de Télé-7-jours, et surveillez moi les aéroports, et bloquez toutes les issues, un café, l'addition !". Et au bout de 10 secondes, le stagiaire de service arrive avec un évident "on vient de le localiser". Le seul ennui avec cette scène, à part qu'elle nous ennuie tant elle est galvaudée, c'est qu'elle est en-dessous de la réalité, et si vous ne me croyez pas, regardez donc votre smartphone dans les yeux...

Tous les décors sont éligibles, de l'Iran au Mexique, pour envoyer ses sombres héros. Les plus veinards font de l'hélico pour dégommer un narco-trafiquant, enfin un truc qui gesticule en bas en criant "Pas coco ! Pas coco !" et qui nous est présenté comme un nain-surgé, surtout s'il est bronzé. Le héros céïesque est alors à califourchon sur le rebord de l'hélicoptère Bell, habillé en costume, aussi branleur qu'un conducteur de T-Max, et il vise avec son H&K PSG-1 en gardant ses lunettes de soleil. Je vous invite à essayer cette posture une fois dans votre vie, vous ne le regretterez paaaaaaaaaaaahhhhhhhhh... Et ça finit toujours en bagarre de saloon parce qu'au bout du bout des 18.000 trous de balles, y'a plus de munitions, mais il reste les traditions. La CIA est à l'impérialisme américain ce que Patrick Sébastien est au beauf : son incarnation. Quant au FBI, on va le laisser finir de neuneuter...

C'est dans ce contexte, alors qu'elle était à la limite de faire concurrence à la Paramount, actrice clandestine d'une réalité qu'elle façonne pour nous l'imposer jour après jour, qu'elle revient en toute discrétion, sur la pointe d'épier. On l'en trouverait presque sympathique. Plutôt que lutter contre celle qui lui a chipé la vedette, elle a décidé de rentrer dans le jeu et de s'inscrire sur Twitter. C'est mignon cette stratégie de déringardisation. En France, on a suivi l'exemple (comme d'hab). On a vu Zero Dark Thirty, on a eu Joséphine ange gardien starring Mimie Mathy. Côté piscine, la DGSE vient d'infiltrer Secret Story...

On a les étoiles qu'on mérite. Pendant que la CIA redore les siennes pour mieux nous les planter dans le drapeau, il semble que nous voulions voir rejaunir les nôtres... Est-ce parce que l'on vient de passer le 17 juillet ?

mercredi 2 juillet 2014

Ca sent le renard

Lundi 30 juin, face aux Fennecs, les allemands ont été des renards du désert. Mais d'ici quelques jours, l'Algérie pourra dire à la France : "nous, face aux allemands, on a su résister !".

lundi 9 juin 2014

Comparator

Tout est business. Même parler du business est un business. Depuis quelques années, les réseaux sociaux professionnels relaient des palanquées d'images aux quotes plus ou moins philosophiques, traduisant la quête de (bon) sens du (bon) peuple de La Défense et d'ailleurs. Vous savez, ces phrases ou ces schémas souvent associés à des personnages célèbres et charismatiques, dont personne n'a vérifié l'authenticité (je parle des phrases). Exemples :



Ces envolées plus ou moins (dé)lyriques sont toujours consensuelles, et bien évidemment inapplicables dans l'entreprise pass'que bon, faut faire du chiffre, hein, et j'veux pas me griller. Vous pensiez que La Défense est une zone urbaine ? Détrompez-vous, c'est un immense champ de carottes. Alors entre deux réunions, pour oublier qu'on va se faire tirer comme des lapins quand on aura 50 ans, on like ces pseudo-citations qui nous donnent du baume au cœur et une vraie bonne conscience, qui alimentent l'illusion que les choses changent. Oui mais... Que les attentes changent ne fait pas changer les choses. Changing is not a spectator sport. Alors on s'en prend à la crise qui fait que bon ben oui mais là, non, ou bien à une prétendue génération Y qui fait rien qu'à pas vouloir travailler. Et en attendant, à défaut de changer vraiment, on raconte, on déplore, on partage, on rêve, Madame.

C'est dans ce contexte que mon corps astral professionnel a réagi au stimulus d'un article relayé ces jours-ci dans un groupe de discussion, sur mon réseau social préféré. Nan, c'est pas Facebook, il y a longtemps que Facebook n'est plus un réseau social. Un pilote de ligne en pleine reconversion professionnelle y tente la comparaison entre le pilotage d'un avion et le management en entreprise. Ah, la belle affaire ! Le business de la comparaison, ça aussi ça marche bien. Que seraient TripAdvisor ou Expedia sans ce modèle ? Ayant bien intégré que dans ce monde bigdaté on peut tout comparer, et surtout, trouver des corrélations entre tout et tout, à partir de petits riens, certain(e)s ont suffisamment de bagou, ou de naïveté, ou de calcul, ou les trois à la fois, pour faire un story-telling si bien huilé que ça devient un fonds de commerce. A titre d'exemple, les anciens des forces spéciales ont senti le filon, eux aussi dans une logique de recyclage. Les voici les voilà, désormais consultants, animant conférences et séminaires, racontant leurs faits d'armes pour galvaniser des wagons de cadres avides d'héroïsme qui projetteront leurs fantasmes call-of-dutiens sur les récits des ex cités. Et ils rentreront, convaincus qu'au bureau il faut faire comme au RAID, en même temps, il vaut mieux ça que le contraire. Rompez.

Mais revenons à nos avions. Ainsi donc, en sept points et autant de paragraphes, notre commandant de bord nous explique tout qu'est-ce qui est bien dans un avion et qu'yfaukon applique en entreprise où forcément, c'est tout caca. Sur ce dernier point, on ne peut pas lui donner tort. Pour le reste, si c'était aussi simple que de dire "PNC aux portes, armement des toboggans, contrôle de la porte opposée", ça se saurait. Chaque jour en entreprise nous amenant à nous demander s'il y a un pilote dans l'avion, on pourra toujours trouver quelque chose à (re)dire dans ce registre. Tenez, prenez le cas de l'AF447. Ça ne fera pas revenir les 228 victimes de ce drame, mais on songera : 

- à la confiance aveugle des dirigeants envers des indicateurs et tableaux de bords très bien vendus, très moyennement testés, et finalement faux à cause de malfaçons techniques
- à un commandant orgueilleux qui a refusé de contourner la tempête alors que tous les autres vols le faisaient (« on va pas se laisser emmerder par des cunimbs… ») 
- à un manque de coordination des pilotes au moment de prendre la décision cruciale 
- à des lacunes dans les compétences techniques des mêmes, qui ont fait monter l’avion alors qu’ils pensaient le faire descendre, et il fallait le faire descendre

La semaine prochaine, nous tenterons de comparer la recette des cupcakes vanille avec les problématiques de cybersécurité.





vendredi 2 mai 2014

Hauts plateaux, bas instincts

Dans cet univers feutré où les cravates désormais unies entrelacent des escarpins sexy, où le pédigrée moyen est un bac+5 de belle facture, où les manières sont so soft et où chaque mot est soigneusement pesé, périphrasé, ciblé, enrobé comme un suppositoire, les restaurants d'entreprises sont des laboratoires inédits et fort intéressants pour qui s'intéresse à la nature humaine.

Exit, les bonnes vieilles cantoches d'autrefois ! Les "R.E." modernes portent des noms exotiques, se prennent pour des lounges et abritent en théorie un moment de pause et de convivialité au milieu de journées brutales. Pourtant, pour une raison qui m'échappera toujours, chaque client semble devenir, en posant le pied sur ce carrelage où une semelle glissante vous ferait immédiatement passer pour le Pierre Richard de (premier) service, une sorte de Mr Hyde ou Mrs Hydette en puissance, un(e) Manimal aux dents acérées.

Les hostilités démarrent à 11h55, pass'qu'après c'est blindé. Une amie qui travaille dans une grande banque verte et blanche m'expliqua un jour à quel point l'heure du déjeuner y est un marqueur social. Plus on est chef, plus tard on déjeune. 13h30 est de bon ton, même s'il n'est pas sûr qu'il reste du bon thon. Aller se restaurer à midi quand on est directeur, c'est d'un populo ! Pour un peu ce serait mal vu. Ils sont bizarres ces banquiers...

Bref, la matinée s'achève à peine que voilà des hordes de collègues bavards dévalant en meutes l'escalier et se retrouvant comme de piaffantes pièces de Tetris à l'entrée de ce sanctuaire appelé selfL’œil noir et le couteau pointé comme une baïonnette, les affamés se lancent dans un parcours de mangeur de combat où chaque autre individu est désormais un ennemi. Bienvenue à The Food : seule la nourriture compte. Tiens, je vais proposer le concept à TF1. Prendra-t-il ma bouffe, me doublera-t-il à la caisse, prendra-t-il ma table ? Était-on en réunion ensemble il y a un quart d'heure ? Peu importe, maintenant c'est un concurrent de steak, un adversaire de filet de dinde. Se faufiler justement, voilà un  premier challenge. Si les plateaux étaient bordés de lames de rasoirs, on pourrait en tailler, des costards ! "Oh pardon, vraiment... C'est rien, c'est de la béarnaise...". Où donc avais-je les yeux, quoi donc avais-je dedans ? De la béarnaise, sans doute. Arrivant par grappes, les collègues se défragmentent au gré des graisses plus ou moins gluantes présentées en grains, agrippant des plats du jour qui remonteront l'après-midi. Au comptoir à salades on se retrouve en configuration cocktail, les chanceux ayant accès aux bacs rechignant à se pousser pour laisser la cuillère à ceux que ça fait chier d'attendre, c'est la quintessence du body language.

Vient la caisse et son bip monoprien. Et nous étions cent vingt à être le suivant de celui qu'on suivait... Chaque tribu a un éclaireur, celui qui passe en premier et qui a la lourde responsabilité de trouver une table. Ce genre de sport est réservé aux forces spéciales de l'équipe. La repérer, sauter dessus, déloger les éventuels insurgés (il y en a toujours) et sécuriser la zone. Un travail de nettoyage pour préparer la conversation conventionnelle qui suivra, peuplée à 99% d'histoires de bureaux, de chefs à la con et de jérémiades sur les droits d'admission facturés par le prestataire en charge du restaurant. Car en effet, le cœur de la cantine est là, dans cette séquence tout ça pour ça. Dix minutes de guerre, vingt minutes pour ingurgiter les râles des autres. Alors, pour conclure, on traînasse au dessert malgré les suivants de tout à l'heure qui cherchent maintenant une table aussi désespérément qu'un parisien cherche une place pour se garer. Qu'ils mettent la pression en stationnant ostensiblement à côté de nos assiettes vides, et l'on prendra un malin plaisir à sortir les smartphones pour se montrer des photos dont personne n'a rien à foutre (c'est à ça qu'on reconnaît les photos de smartphones). Après quelques minutes de cette guerre psychologique, on daignera se lever. Alors le geste grave, alors le regard fier, on ramène nos betteraves jusqu'en pleine lumière.

S'en suivra le même scénario en sortie de l'antre cantinesque, dans l'endroit le plus important et le plus stratégique de l'entreprise : la cafèt, pour ce moment viscéralement inscrit et rigoureusement indispensable à la culture française : le café. La terre peut s'arrêter de tourner, on ratera pas son expresso. Heu... Allongé pour moi, s'il vous plaît.

Le collègue de travail est une créature angoissée. Il a peur de manquer : manquer d'amis pour déjeuner, manquer de nourriture, manquer de temps. Surtout, si vous croisez un collègue glouton qui commence à stresser à 11 heures, rassurez-le. Projetez-vous dans une relation parent-enfant et dites lui que vous allez l'accompagner. Et pour le faire patienter, diffusez un peu de parfum d'ambiance "cantoche torride".

mardi 25 mars 2014

L'amour au camembert

Non, rrrrien de rien, non, je ne grrrratte plus rien...
Non, je déconne. Je gratte, beaucoup même, mais dans des fenêtres professionnelles. J'en passe des soirées à noircir des écrans. Gratter autant, alors que la vie est un jeu de tirage, quel mauvais calcul !

Il ne faut pas se tromper de tempo. Contrairement aux apparences, notre vie n'est pas rythmée, elle est algorithmée. J'en ai eu une preuve de plus l'autre jour avec un jeune collègue. Jeune collègue, ça veut dire la trentaine. S'il avait eu 44 ans, j'aurais dit très jeune collègue. Nous marchons comme des soldats en campagne, avenue de la Grande Armée, en route pour un rendez-vous. Mon collègue F. la trentaine donc, aussi chevelue que barbeuse, barbante aussi peut-être, presque beigbederienne et résolument célibataire, me fait remarquer la publicité que le bus nous jette à la figure. Une pomme violette faisant l’apologie de l’adultariat en ligne, un vrai must si l’on en croit le slogan. Un segment de marché à part entière, après que Simon Cynique a bien balisé le terrain des rencontres ex machina. Et non, je ne vous ferai pas un jeu de mots pourri du genre "annonces mythiques pour relations toc c'est merdique" ou "annonce mi-tic, mi-boudin". Zut, je l'ai fait.

En dix ans notre entremetteur 2.0 a fait du célibat ce qu’Audi a fait du diesel : transformer un handicap social en fierté, en état de fait qui représente 66% du marché, en institution républicaine. Dans les années 80, être célibataire c’était une maladie honteuse. Aujourd'hui, c’est un privilège, le droit de consommer de l’humain, de se gaver de pubis frais, d'adopter des mecs et de s'enrouler dans des peaux de cougars. Fais attention François, touche pas à mon écran ! Sinon tous les clavisexuels du pays descendront dans la rue, te remettront sur ton scooter direction Tulle, bloqueront les taxis (ça je veux bien) pour revendiquer haut et fort leur droit à la BMA (Baisouillette Meetiquement Assistée). Un motif en or pour faire défiler toutes les Frigide de France !

Le bus à pomme s'éloigne et mon collègue me dit tout de go qu'il a essayé les sites de rencontres classiques et que ça marche pas mal. Il n'en fallait pas plus à Alexagère pour sortir de sa tanière. "Ah bon, ça marche pas mal ?". Et lui de m'expliquer comment et pourquoi les algorithmes affinitaires permettent de cibler la recherche sur des personnes "adaptées". Bon sang, "adaptées", rien que le mot fait peur. Il rentre un nombre ahurissant de paramètres aussi personnels qu'improbables, comme la température idéale de cuisson de son poulet, et le site lui renvoie la poulette rêvée à la peau bien dorée. Un peu trop belle l'histoire, non ? Dans ma grande naïveté, je ne peux m'empêcher de lui demander : 
"- Est-ce que c'est parce que vous aimez tous les deux le camembert que vous ferez bien l'amour ?"
- Nan, mais faut pas le voir comme ça.
- Ben... Quand même un petit peu. Le préfabriqué, par définition, ce n'est pas fait pour durer.
- La durée, c'est bon pour les macarons, et encore. Qui te parle de durée ? Je ne cherche pas forcément la femme de ma vie. Et quand bien même, en regardant bien, les mariages arrangés c'est la trame de reproduction de l'humanité depuis la nuit des temps, et à tous les niveaux. Ça n'est pas mieux, c'est même franchement plus hypocrite.
- Un point pour toi, mais enfin, tout ce consumérisme..., dis-je en mimant un smiley triste.
- Pas d'accord. Je n'ai pas l'impression de consommer. La machine me permet de gagner du temps, c'est tout.
- C'est tout ? Ce n'est rien, ou plutôt, ce n'est que le commencement. St. Exupéry a raison, avec sa rose. Un jour on fera des sites de rencontres pour les chiens...
- Ça existe déjà !
- Remarque, c'est le meilleur moyen pour rencontrer une vraie chienne !
- C'est toi qui devient cynique, là. T'es lourd à tout intellectualiser. On dit la même chose en fait. C'est juste de la mise en relation. Matchmaker, matchmaker make me a match... Après la rencontre, c'est la vraie vie qui prime et il se passe un truc, ou pas. Personne n'est dupe.
- Ouais mais quand même, faire défiler des tronches à la pelle, ça pousse à la consommation, au jugement instantané, à la note de gueule.
- Ben oui, comme dans la rue.
- Et tu crois que tu pourras tomber amoureux un jour via cette interface ?
- Pourquoi pas ? Il y a quelques temps j'ai rencontré une fille très belle, on a très bien fité le mindset, affinités croisées, je lui plaisais aussi...
- Et ?
- Je n'ai pas pu, elle avait une haleine de camembert.
- Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute..."